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2 décembre. Il s’assura bientôt qu’il y avait dans l’esprit de Napoléon III je ne sais quoi d’ingouvernable, d’inquiet, une force qui ne se connaissait pas elle-même et qui ne se laissait jamais complètement analyser ni conduire. Il voyait avec inquiétude sur le trône de France un contempteur avoué des traités qui portaient la signature de l’Angleterre, l’apôtre couronné d’un droit nouveau, l’initiateur d’une politique qui n’était jamais satisfaite, et qui avançait par étapes, sans qu’on pût jamais savoir quelle serait la dernière. On aurait pu dire de lui avec Ovide :

Effugere optat opes, et quæ modo voverat odit.


Cette alliance française, qu’il avait nouée et serrée avec tant de soin, lui devint plus d’une fois une chaîne. Il aimait à dire que la France n’était pas digne de la liberté ; mais il vit bien qu’elle ne pouvait se passer à la fois de liberté et de gloire, et, s’il n’en vint pas à regretter pour elle la liberté, il souffrait impatiemment cette gloire. Il fut atteint, aussitôt après le traité de Paris, d’une sorte de jaunisse politique qui le portait à décrier toute chose, ne fût-ce que le percement d’un isthme ; il voyait une France insatiable, dévorante ; l’amitié d’un Napoléon finit par l’obséder plus que n’eût fait son hostilité déclarée. Il avait le patriotisme âpre et jaloux, il tirait sans cesse des fruits de l’alliance française ; mais il craignait toujours que l’Angleterre ne semblât devenue un satellite de son allié. Il prenait le solide, et son appétit était satisfait, son imagination ne l’était pas. « Le fait est, écrit-il un jour à lord Clarendon, dès 1857 (27 septembre), que dans notre alliance avec la France nous montons un cheval sujet à s’emballer ; il faut conduire un tel cheval d’une main légère et d’une rêne lâche, ou notre danger est que la France et la Russie s’unissent un jour dans quelque vaste projet d’ambition mutuelle. Ce serait alors à l’Angleterre et à l’Allemagne de se dresser contre elles. »

La lune de miel de l’alliance durait encore pendant l’expédition de Chine, pendant la révolte de l’Inde. Pourtant Palmerston est déjà sur ses ergots. La révolte étouffée, il fait au banquet du lord-maire un discours où il exalte les vertus de l’armée anglaise : « l’Anglais, dit-il, n’aime pas autant que d’autres peuples les uniformes, les fourreaux d’acier, les talons de fer ; mais aucune nation ne nous primera ’dans la connaissance des devoirs de la profession militaire ;… j’irai jusqu’à dire qu’il n’y a pas de nation sur la surface du globe qui surpasse, — je pourrais dire sans trop de vanité, qui égale, — le peuple des Iles-Britanniques. » Il engage les « puissances étrangères » à ne pas se tromper sur l’esprit de ce peuple. Le biographe nous informe que dans l’agenda de poche de Palmerston il y a une note sur ce discours. « A été trouvé très