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les ambassadeurs étrangers, avant que l’on ne prenne des décisions importantes, basées sur ces rapports, à recevoir en temps utile les dépêches de l’étranger, à recevoir les copies des réponses soumises à son approbation assez à temps pour qu’elle puisse en prendre connaissance avant que les réponses ne soient dépêchées. »

Ce mémorandum garde sa place dans l’histoire constitutionnelle de l’Angleterre. Après lord Russell, la reine elle-même demanda des explications à lord Palmerston ; le 16 décembre, celui-ci écrivit à lord Russell une longue lettre dans laquelle il fit nettement l’apologie du coup d’état ; l’existence d’une république, dans un pays centralisé comme la France, avec une grande armée permanente, avec une capitale comme Paris, lui semblait une impossibilité, « quelque savante et sage que soit l’organisation d’une telle république. » La constitution de 1848 était une absurdité, elle méritait plutôt le nom de « dissolution. » Il ajoutait en post-scriptum qu’il regrettait comme tout le monde « l’inutile destruction de vies que les soldats paraissent avoir infligée au peuple de Paris. »

L’Angleterre était encore sous le coup de l’émotion qu’avait produite cette « destruction de vies ; « Palmerston aimait d’ordinaire les colères généreuses de sa nation, son cœur avait été du côté des « garçons brasseurs » de Barclay et Perkins contre le « boucher » Haynau, quand celui-ci avait failli être massacré. Il ne se trouvait pas cette fois à l’unisson du peuple anglais : on ne répondit pas à ses dissertations sur les constitutions républicaines, on lui reprocha simplement son « incorrection » constitutionnelle ; il dut sortir du ministère, il se retira un peu honteusement, tombant pour ainsi dire du haut de la popularité dans une véritable défaveur. Dans ses lettres à son frère, il se représente comme la victime d’une intrigue ; on l’a noirci dans l’esprit de la reine et du prince Albert. Le « mémorandum » où la reine lui signifiait ses volontés en termes presque irrités aurait dû lui servir d’avertissement. Quand lord Russell lut ce mémorandum à la chambre des communes, pour expliquer la retraite forcée de lord Palmerston, l’effet fut des plus grands. Celui-ci s’était bien faiblement défendu devant les communes, il semblait « écrasé ; » il fut prudent, il se permit une seule malice, en laissant deviner que le 4 décembre, à sa propre table, lord Russell avait parlé favorablement à M. Walewski de ce même coup d’état qu’on lui reprochait tant d’avoir approuvé. Il fit à tout le monde l’effet d’un homme qui dans un duel subit le feu de l’adversaire. Il voyait venir la guerre de Crimée.


III

Palmerston eut bientôt le plaisir de renverser le cabinet affaibli de lord John Russell : il vit tomber peu après l’administration