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avait blessé les sentimens. Palmerston était peut-être sincère quand il croyait que les princes français allaient donner le signal d’une guerre civile ; mais on peut dire hautement que la passion lui avait ôté toute lucidité, non-seulement il ne connaissait pas ceux dont il parlait, il ne voulait pas les connaître. Décidé à se mettre du côté du président, il ne se contentait pas de l’absoudre, il tenait à le justifier. Quand Normanby lui demanda de nouvelles instructions, il lui répondit officiellement : « Sa majesté m’ordonne de donner à votre excellence pour instructions de ne rien changer dans vos relations avec le gouvernement français. C’est le désir de sa majesté que rien ne soit fait par notre ambassadeur à Paris qui puisse avoir l’apparence d’une intervention quelconque dans les affaires intérieures de la France (5 décembre 1851). » Lord Normanby alla communiquer à M. Turgot, qui avait reçu le portefeuille des affaires étrangères, la teneur de cette dépêche. M. Turgot le prit de haut avec lui et ne lui cacha pas que sa démarche était bien inutile ; dès le lendemain du coup d’état, M. Walewski l’avait informé que lord Palmerston approuvait entièrement tout ce qu’avait fait le président. Lord Normanby se plaignit d’avoir été devancé et d’être placé dans une position intolérable, si à Downing-street on n’avait que des éloges pour le président, tandis que ses instructions officielles lui défendaient toute ingérence dans les affaires intérieures de la France, et lui commandaient seulement de ne pas interrompre les rapports diplomatiques avec le nouveau gouvernement.

Dès que la reine et lord John Russell, alors premier ministre, eurent pris connaissance de la lettre de lord Normanby, lord Russell écrivit à lord Palmerston pour lui demander compte du désaccord entre les communications verbales faites à M. Walewski et les instructions officielles discutées dans le conseil des ministres. La reine avait lieu d’être justement irritée contre lord Palmerston, car à peine un an auparavant elle avait tenu à faire, si l’on peut employer ce mot, le protocole de ses relations avec lord Palmerston ; voici quels étaient les termes précis du mémorandum qu’elle lui avait fait tenir, et dont elle lui avait fait accepter les conditions : « La reine exige d’abord que lord Palmerston dise distinctement ce qu’il propose dans chaque cas donné, afin que la reine sache aussi distinctement ce à quoi elle donne sa sanction royale. Deuxièmement, cette sanction donnée à une mesure, elle exige que cette mesure ne soit point arbitrairement altérée ou modifiée par le ministre. Elle considérerait un tel acte comme un manque de sincérité vis-à-vis de la couronne, et estime qu’elle aurait le droit de le punir dans l’exercice de son droit constitutionnel, en renvoyant le ministre. Elle s’attend à être informée de ce qui se passe entre le ministre et