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pompeusement dans sa circulaire aux agens diplomatiques de la France que les traités de 1815 avaient cessé d’exister, il ajoutait que la république de 1848 était essentiellement pacifique. Palmerston avait bien deviné que les phrases sur les traités de 1815 n’étaient qu’une concession vaine à la foule : c’était le gaz qui devait rapidement s’évaporer ; ce qui restait au fond du creuset démocratique, le métal pur, le régule, c’était la paix ; la France était une assez belle proie pour les apôtres du suffrage universel.

Quand les Irlandais rebelles, O’Brien en tête, vont demander l’appui du gouvernement provisoire, Lamartine leur répond qu’il n’est pas « convenable » que la nation française intervienne dans les affaires intérieures d’un pays avec lequel elle désire rester en paix. « Dites à Lamartine, écrit Palmerston à son ambassadeur, combien nous lui sommes obligés pour sa parfaite et amicale conduite vis-à-vis de la députation irlandaise. Sa réponse a été tout à fait honorable et « digne d’un gentleman. » Dans cette même lettre, où il daigne accorder l’investiture du gentleman à Lamartine, il raconte à Normanby qu’il avait eu M. Guizot, alors réfugié en Angleterre, à sa table avec les Liéven, a mais j’ai eu soin que cela ne soit pas mis dans les journaux. » Cette précaution peut se justifier, et l’on comprend que Palmerston n’ait pas voulu porter le moindre ombrage au nouveau gouvernement français. On peut s’étonner pourtant de voir introduire dans la langue diplomatique des expressions qui rappellent un code de délicatesse tout mondain. Palmerston crut-il toujours indigne d’un gentilhomme de protéger les ennemis avoués d’un gouvernement légal ? On l’eût fait sourire en lui posant cette question ; mais il pensait naïvement que la déférence envers le gouvernement anglais était un attribut de « l’honnête homme. »

L’Europe était remuée jusque dans ses fondemens : Palmerston avait pris tout de suite son parti ; il était décidé à n’accorder la protection. active de l’Angleterre qu’à la Belgique, dans le cas où celle-ci serait menacée par la France. Il entrevoyait déjà les linéamens d’une nouvelle Europe, d’une Italie délivrée du joug autrichien, d’une Allemagne plus unie et fortifiée contre la France. Il accablait Lamartine de complimens en même temps qu’il écrivait au roi Léopold : « Pour la France, personne ne peut prophétiser de semaine en semaine le tour que prendront les événemens dans ce malheureux pays. Pendant des années, ceux qui étaient au pouvoir ont travaillé aux étages élevés de la monarchie, sans s’occuper des fondations. L’éducation et la religion ont été négligées[1], et le pouvoir est passé maintenant dans les mains d’une canaille qui

  1. Lord Palmerston oublie la loi sur l’instruction primaire de M. Guizot.