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austro-hongrois, c’est-à-dire que s’il y a moins de Serbes en Autriche-Hongrie qu’en Turquie, il y en a plus que dans la principauté de Serbie. Les Serbes de la Dalmatie et de l’Istrie, un peu plus de 400,000, n’ont pas l’histoire et la vie politique des Serbes de Hongrie. Ils n’ont pas comme ces derniers quitté depuis quatre siècles leurs anciens établissemens, ils n’ont eu ni privilèges ni organisation distincte, et dans la barbarie où les a laissés la longue domination vénitienne, ils ne se sont pas, en dehors des villes du moins, intéressés aux destinées de leur race. L’échauffourée des Souches du Cattaro, en 1869, n’avait aucune signification politique. Séparés de la principauté de Serbie par toute la largeur de la Bosnie et de l’Herzégovine, les Dalmates ne pouvaient subir l’influence et l’attraction de ce centre politique de la nation serbe ; il faut aussi noter qu’ils sont en grande majorité catholiques de rite latin. Ils se sont bornés à suivre avec sympathie l’insurrection des provinces voisines, et lui ont fourni peu de volontaires. Mais la vie nationale s’éveillerait certainement chez eux s’ils confinaient non plus à une Bosnie turque, mais à un royaume de Serbie, et ce royaume de Serbie lui-même, enfermé et comme étouffé dans l’intérieur des terres, serait tôt ou tard obligé de convoiter et de revendiquer la Dalmatie, pour avoir accès à la mer et pour posséder une marine. Cette marine existe, valeureuse, expérimentée ; c’est la marine autrichienne, c’est la flotte de Lissa, recrutée presque entièrement de matelots dalmates et istriens[1]. Mais alors que deviendrait la marine autrichienne, et, l’Autriche restât-elle à Trieste, où lèverait-elle ses matelots ? Cette hypothèse ne pourrait certainement se réaliser que dans une époque bien lointaine et à la suite d’une guerre générale, mais il suffit qu’on puisse sans exagération l’évoquer (et la nature semble avoir marqué là la place d’un état croato-serbe) pour que l’Autriche s’effraie de l’affranchissement et de l’indépendance nationale des Serbes de la Turquie.

En Hongrie, c’est une crainte analogue qui rend les Magyars et le gouvernement hongrois hostiles à la principauté de Serbie. Le million de Serbes de Hongrie s’étend en Croatie, Slavonie et Hongrie propre comme un ruban sur la frontière bosniaque d’abord, puis sur la frontière serbe. Tout l’espace compris entre la Drave et la Save est entièrement serbe. Bien plus, les Serbes débordent au-delà de la Drave et au-delà du Danube, dans la Batchka et dans le

  1. Ce sont ces matelots qui formaient l’équipage du Tegethoff, chargé, il y a trois ans, d’une célèbre expédition polaire sous le commandement de Payer et Weyprecht.