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d’un compromis fut réglé à leurs dépens. D’après les privilèges impériaux, les Serbes ne devaient le service militaire que sur la frontière et contre les Turcs : néanmoins les empereurs les employèrent sans tarder dans toutes les guerres de l’empire et notamment dans celle de Trente ans. Ce sont eux qui sous le nom de Croates et de Pandours eurent pendant ces derniers siècles une réputation de féroce bravoure.

L’immigration des Serbes s’était jusque-là faite par bandes relativement peu considérables. Sous Léopold, elle prend la proportion d’un exode. Depuis un demi-siècle, les Serbes n’avaient plus de chef national. Un descendant de la famille Brankovitch, dont la vie passée d’abord en Transylvanie, en Turquie et en Russie était assez aventureuse, eut l’ambition de commander à sa race, et en 1663, à Andrinople, avec l’agrément de l’envoyé autrichien à Constantinople, il était consacré despote par le patriarche d’Ipek, le chef religieux de » la nation serbe. L’empereur Léopold le reconnut plus tard en cette qualité, le fit comte de l’empire, lui donna l’indigénat hongrois et l’admit dans l’armée impériale. La popularité de son nom avait réuni plusieurs milliers de volontaires serbes autour de Georges II Brankovitch. Pour un motif resté obscur, il devint suspect à la cour de Vienne et, arrêté en 1689, il passa le reste de ses jours en prison sans jamais être jugé. Vraisemblablement la cour de Vienne regrettait d’avoir donné à ses Serbes un chef national, un voïvode, comme disaient ceux-ci : c’était en faire une nation tout à fait à part dans un empire déjà divisé.

Mais la paix avec les Turcs n’était qu’une trêve ; la guerre revenait presque périodiquement, terrible, implacable. L’empereur avait trop d’intérêt à soulever les sujets chrétiens du sultan, à les attirer dans son propre empire pour ne pas accepter tout concours qui lui viendrait des Serbes ; mais il rêvait davantage : il voulait attirer leur nation dans la Hongrie dépeuplée et faire des Serbes belliqueux comme un rempart vivant contre les incursions ottomanes. A cet effet, il ouvrit des négociations avec le patriarche d’Ipek, le chef religieux de la nation serbe ; celui-ci était Arsène III Tchernoïévitch. C’est Brankovitch qui avait suggéré cette démarche à l’empereur. Léopold, pour appuyer ses négociations auprès du patriarche et peut-être aussi pour atténuer l’effet fâcheux produit parmi les Serbes par l’enlèvement de Brankovitch, lança le 6 avril 1690 une proclamation restée célèbre ; elle s’adressait à tous les peuples chrétiens encore soumis aux Ottomans, mais elle avait les Serbes plus particulièrement en vue. Léopold garantissait aux chrétiens qui accepteraient son autorité et qui s’établiraient en Hongrie le libre exercice de leur religion (le catholicisme de rite oriental), l’élection de leur voïvode ou despote, et, la guerre achevée, il leur