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ajoutait en propres termes : « L’heure est venue pour sa majesté de proclamer une amnistie générale pour les tories. » Le prince répétait ces paroles à la reine, qui pouvait à peine en croire ses oreilles. Elle n’oubliait pas si vite le mal que les tories lui avaient fait, leur opposition à la liste civile du prince dans la chambre des communes, leurs chicanes dans la chambre des lords au sujet de la préséance. Quoi ! c’était lord Melbourne qui parlait d’amnistie ! « Est-ce bien vrai ? » lui demanda-t-elle. « Oui, madame, répondait le premier ministre, c’est mon avis comme c’est l’avis du prince. » Il fallait que l’irritation de la reine contre les tories fût bien vive pour qu’elle ne se rendît pas immédiatement. Comment résister toutefois lorsque Melbourne, peu de jours après, dans une de ces réceptions royales où le prince faisait connaissance avec l’aristocratie, disait à la reine en lui montrant son mari : « Voyez ! quelle séduction il exerce ! Comme chacun est sous le charme ! Tout le monde l’aime. Ce serait le moment de faire apparaître le rameau d’olivier. »

Sentimens moraux et sentimens politiques, chastes tendresses du foyer et loyal apaisement des partis, voilà déjà bien des fruits d’or qui couronnent ces journées d’enchantemens. À toutes ces causes de joie nationale, ajoutez les contrastes d’une récente histoire. On n’était pas si loin du règne de George IV ; on pensait encore à tant d’abominables scandales, aux désordres du prince de Galles, à l’iniquité du prince-régent, aux odieuses brutalités du roi, au procès et à la mort de la reine Caroline. On se représentait en même temps la douloureuse destinée de la princesse Charlotte, cette vie si triste, cette fin si prompte, et l’heure de la mort se confondant avec l’heure de la réparation. Quel désespoir dans tout le pays au moment où s’écroulèrent les espérances attachées à une existence aussi précieuse ! Eh bien, avec la reine Victoria, il semblait que la princesse Charlotte eût reparu plus jeune, plus souriante, plus digne encore d’être aimée. Le jeune époux qui l’emamenait à Windsor était aussi comme l’image renouvelée de ce prince Léopold qui avait laissé les meilleurs souvenirs aux Anglais. Le Times, dans son article sur le mariage de la reine Victoria, rappelait tout naturellement le mariage de la princesse Charlotte avec le prince Léopold. Même foule, dit-il, même enthousiasme. On devine que les deux journées se complètent dans la pensée de l’écrivain, et que la seconde est chargée de tenir les promesses de la première. L’Angleterre partagea ce sentiment. Jamais on n’avait vu dans un mariage royal un si merveilleux accord, jamais tant de grâces et tant d’harmonies rassemblées.


SAINT-RENE TAIELANDIEK.