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achevé, une de ces gracieuses images de la vie domestique comme les aiment les romanciers anglais. Quel peintre des cottages n’envierait l’expression de ces joies familières ! Le cottage ici, c’est le palais de Windsor, mais telle est la simplicité de cette correspondance, que la grandeur du cadre ne fait aucun tort à la poésie des choses. On y verrait, par exemple, la reine d’une puissante nation dire le plus naturellement du monde que son jeune cousin, en recherchant son alliance, a fait un sacrifice ; on l’entendrait apprécier ce sacrifice, où elle trouve un nouveau motif de reconnaissance et d’amour ; on lirait dans sa pensée combien elle regrette de réduire le prince à un rôle secondaire, lui si beau, si noble, si parfait, si digne du premier rang ! On remarquerait aussi une scène douloureuse et touchante : le frère aîné du fiancé, qui aurait pu prétendre, lui aussi, à la main de sa cousine, qui peut-être y avait songé plus d’une fois sans en rien dire, a sa place particulière dans ce recueil de lettres. Écoutez-le quand il étouffe une dernière fois son gémissement secret pour faire l’éloge de son frère et féliciter la jeune reine :


« Ma chère cousine, laissez-moi vous remercier très sincèrement de votre bonne réponse à ma lettre. Vous êtes toujours si bonne et si aimable pour moi que je crains de ne pas vous avoir suffisamment remerciée.

« Oh ! si vous pouviez savoir quelle place, vous et Albert, vous occupez dans mon cœur ! Albert est un second moi-même, et mon cœur ne fait qu’un avec le sien. Indépendamment de ce qu’il est mon frère, je l’aime et l’estime plus que personne au monde. Vous sourirez peut-être de voir que je vous parle de lui en des termes si ardens, c’est pour que vous sentiez mieux encore tout ce que vous gagnez en lui.

» Jusqu’à présent, c’est surtout son extérieur que vous connaissez, sa nature si juvénilement innocente, son calme, son intelligence claire et ouverte. C’est ainsi qu’il apparaît dès le premier abord. On lit moins de choses sur son visage, en ce qui concerne l’intelligence des hommes et l’expérience ; pourquoi cela ? Parce qu’il est pur devant le monde et devant sa propre conscience. Non pas qu’il ignore ce que c’est que le péché, quelles sont les tentations mondaines et la faiblesse de l’homme ; non, mais il a su et sait comment on y résiste, soutenu qu’il est par la supériorité, par la fermeté incomparable de son caractère.

« Dès nos premières années, nous avons été entourés de circonstances difficiles dont nous avions parfaitement conscience, et mieux peut-être que le plus grand nombre nous nous sommes accoutumés à voir les hommes dans les situations les plus opposées que puisse offrir la vie humaine. Albert n’a jamais connu l’hésitation. Guidé par la clarté de son propre sens, il a toujours marché calme et ferme dans le droit