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le payât sur sa cassette, cette mesure déplut beaucoup dans le monde politique. Sans le respect qu’inspirait la personne d’un monarque si durement éprouvé, l’affaire eût été portée à la tribune du parlement. Après lui, le prince-régent, qui voulut se donner aussi un secrétaire intime, prétendit lui attribuer un traitement sur le trésor ; l’opposition fut si prompte et si vive qu’il dut bientôt retirer sa demande. Voilà le régent battu et résigné, il paiera son secrétaire sur les fonds de sa liste civile. L’opposition désarme-t-elle ? pas le moins du monde, car ce n’est pas ici une question d’argent. Ce n’est pas davantage une question de personnes : ni le colonel Herbert Taylor, secrétaire de Guillaume III, ni le colonel Mac-Mahon, secrétaire du régent, n’inspiraient de défiance au parlement d’Angleterre. Il s’agissait d’une question de principe. Ce fut l’objet d’une motion très précise et d’un débat très vif à la chambre des communes. L’opposition employa des argumens auxquels il paraissait difficile de répondre. Qu’était-ce donc que ce pouvoir, nécessairement initié à tant de grandes affaires et qui n’aurait pas de comptes à rendre, qui survivrait aux ministères, qui formerait bientôt une tradition opposée aux libres mouvemens de la vie publique ? L’objection était des plus graves, le ministère réussit pourtant à l’écarter. Était-il raisonnable en effet que le souverain n’eût pas un secrétaire auprès de lui ? et, n’eût-il pas de secrétaire, pouvait-on l’isoler de toute relation intime, lui interdire toute conversation privée ? Oubliait-on qu’il y avait là un ministère pour répondre de tout ce qui avait un caractère politique ? « Nous sommes responsables, disaient les ministres, notre responsabilité couvre tout, il n’est pas besoin d’autres garanties pour assurer le respect de la constitution. » C’était la réponse du bon sens, et le bon sens eut raison.

On voit par ces détails combien la situation du baron de Stockmar était délicate à la cour de la jeune reine. Si l’on prenait ombrage des secrétaires choisis dans les rangs de la société anglaise, quelle défiance ne devait pas exciter l’étranger ! Secrétaire, confident, conseiller, quel que fût son titre, Stockmar était exposé à de singuliers soupçons d’ingérence, surtout au début d’un règne et dans l’état d’irritation mutuelle où se trouvaient whigs et tories. Eh bien, telle fut la réserve de Stockmar que, malgré les doutes et les mécontentemens, il ne donna prise, en définitive, à aucune attaque sérieuse. On murmurait parfois, les esprits s’animaient ; si le baron n’eût été la prudence même, la chambre des communes aurait entendu des interpellations irritées. Un jour, le président de la chambre des communes, M. Abercromby, avertit lord Melbourne que l’opinion du parlement l’obligeait de provoquer