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est trop étroitement théorique et ne répondrait pas à la mission toute pratique d’un prince. Au contraire, que d’avantages dans un séjour de quelque temps à Bruxelles ! Stockmar est d’avis que le prince Albert avec son frère aîné y passe au moins un semestre, et mieux encore une année entière. La vie intérieure de la Belgique, sous une monarchie qui se fonde, lui sera un spectacle plein d’enseignemens. Grâce à la neutralité du royaume, Bruxelles est un poste d’où l’on peut examiner avec fruit le mouvement de la politique européenne. On n’est pas engagé dans ce mouvement, on n’en est pas non plus trop éloigné ; situation commode, observatoire unique. Et puis quel guide que cet oncle initié à tant de grandes affaires, homme d’état consommé, vrai modèle d’esprit, de sagesse, et qui en toute occasion sera pour ses neveux un précepteur attentif et dévoué !

Stockmar ne se dissimule pas cependant les objections qu’on peut opposer à son projet. La politique du nord, c’est-à-dire la politique de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche, persiste à considérer la fondation du royaume de Belgique comme une victoire du principe démocratique en Europe. Que dira-t-on à Saint-Pétersbourg, à Vienne, à Berlin, quand on verra les jeunes princes installés à Bruxelles pour y achever leur éducation ? On signalera là une intention marquée d’en faire des ultra-libéraux. S’il devait en résulter un jour contre les jeunes princes une hostilité des cours du nord, ce serait assurément un sérieux motif de ne pas leur donner Bruxelles comme lieu d’études ; mais, ajoute Stockmar, je ne crains pas cette hostilité, en supposant bien entendu que rien ne la justifie, je ne la crains pas si elle n’a d’autre cause qu’un simple préjugé, une simple inspiration de haine générale contre la politique de l’Occident. Laissons-le continuer, la discussion est intéressante, car elle nous fait connaître les secrètes pensées de celui qui va être le conseiller de la reine :


« Un homme d’état expérimenté, s’il a le choix entre le terrain constitutionnel et le terrain absolutiste pour y faire l’éducation d’un jeune prince, préférera le premier. La vie constitutionnelle offre ce grand avantage que le mouvement et la marche de l’ensemble des affaires s’y montrent entièrement à jour. L’écume de la démocratie y est soulevée si haut à tout instant que chacun peut la voir, la toucher, s’y salir. À tout instant aussi, le bien éclate à la lumière, à tout instant on peut le sentir et le saisir. Quiconque a des yeux, quiconque est capable d’une impression, peut tout découvrir sans effort et tout conserver sans peine dans sa mémoire.

« L’organisme de la monarchie pure est bien moins intéressant. Il ressemble à une machine simple, mais cachée, dont la marche ne frappe