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toutes les clartés de la religion domestique, il se sentait soutenu par la sympathie des whigs, ennemis du prince de Galles, sans que les tories eussent trouvé encore l’occasion de lui marquer des sentimens hostiles. Léopold ne se souvenait que de ces heures d’enchantement. Stockmar, plus attentif à tout par dévoûment à son maître, mieux en mesure de voir de près bien des choses, avait réfléchi profondément aux périls et aux humiliations d’un prince consort. Il savait combien l’aristocratie parlementaire était jalouse de ses droits, avec quelle vigilance elle surveillait la couronne, comme elle se défiait de l’étranger qui venait épouser une fille d’Angleterre, comme elle le tenait à l’écart des affaires d’état, et, tout en le couvrant d’honneurs, ne lui permettait pas d’être autre chose que le premier des sujets de la reine. Être l’époux de la reine, n’être que le premier des sujets, quelle situation délicate ! où finit-elle exactement, cette ligue de démarcation idéale ? Le prince viole-t-il la constitution s’il a un avis très arrêté sur les choses d’intérêt public, sur les débats du parlement, sur la formation d’un ministère ? Et s’il a cet avis, s’il a le droit de l’avoir, comment obtenir qu’il n’en parle point à la reine ? Comment faire que la reine soit insensible à son langage ? Notez que ce cas d’une reine anglaise mariée à un prince étranger ne s’était pas présenté une seule fois sous la maison de Brunswick-Hanovre, qu’il n’y en avait eu qu’un seul exemple depuis la révolution de 1688, et que dans ce seul exemple, celui de la reine Anne, la nullité du prince-consort n’avait pas permis aux difficultés da se produire. Si le prince Léopold, au lieu de devenir roi des Belges en 1831, était devenu prince-consort en Angleterre le 26 juin 1830, à la mort de son beau-père George IV, aurait-il évité tous les conflits ? Et le prince Albert les évitera-t-il davantage ? Rien n’est moins assuré ; mais le prince Léopold les aurait certainement détournés, il les aurait du moins apaisés sans bruit, grâce aux ressources d’une intelligence d’élite et d’une prudence magistrale. Il faut donc examiner avec soin si le prince Albert offre sur ce point toutes les garanties désirables, si ce rôle tout particulier lui sourit malgré ses servitudes, s’il aura le goût et le courage de son rôle moral, s’il saura retenir sans la dépasser l’influencé à laquelle il pourra prétendre ; enfin s’il saura se garder autant de la pusillanimité que de l’esprit d’usurpation. Toutes ces pensées agitaient le consciencieux Stockmar, lorsqu’il écrivait au roi des Belges en ce mois de mars 1836 :


« Albert est un beau jeune homme, assez développé pour son âge, avec des traits agréables, expressifs, et si rien ne trouble en lui le travail régulier de la nature, ce sera un homme dans quelques années,