Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bouillir alternativement pendant huit mois » sans pouvoir espérer de se refroidir le reste de l’année, et il soupirait après l’Angleterre. Quand il eut mis la dernière main à son projet de code, son grand ouvrage, il n’y tint plus. Il donna sa démission et s’embarqua pour l’Europe. Sa sœur, qui dans l’intervalle avait épousé M. Trevelyan, jeune employé civil de grand avenir, l’accompagnait encore, suivie de son mari. Macaulay rapportait des Indes une fortune suffisante pour la modestie de ses désirs et les matériaux de ses beaux essais sur Lord Clive et Warren Hastings. Pendant la traversée, qui fut longue, il apprit l’allemand. « J’ai, disait-il, un pressentiment qui m’assure que la cause finale de mon existence, l’objet spécial pour lequel je suis envoyé dans cette vallée de larmes, c’est de m’amuser aux dépens de certains Allemands. « Il ne prévoyait pas alors qu’il serait un jour élu chevalier de l’ordre du mérite de Prusse.

Si l’on en croit Sidney Smith, il devait encore quelque chose à son séjour dans l’Inde : il avait appris à se taire. « Il est certainement plus aimable depuis son retour, disait le malin ecclésiastique ; il a de temps en temps des éclairs de silence qui rendent sa conversation parfaitement agréable. » Ce n’était pas le seul profit qu’il eût tiré de la solitude et de l’éloignement de Londres. Tout en parcourant son jardin, un livre à la main, aux premières lueurs de l’aube, il s’était senti devenir, de plus en plus indifférent à la politique. Qu’est-ce, pensait-il, que la gloire de Townshend en comparaison de celle de Hume, et qu’est-ce que lord North auprès de Gibbon ? Se faire un nom durable parmi les historiens de l’Angleterre, créer, comme Thucydide, son modèle idéal, une de ces œuvres qui demeurent « à toujours, » voilà quel sera désormais le rêve de cette seconde partie de sa vie. La politique va céder le pas à la littérature. Il acceptera encore un siège au parlement et des fonctions publiques, mais son cœur est ailleurs. Son père Zacharie est mort, ses frères et ses sœurs sont établis : il peut songer à lui-même. Il entrevoit déjà dans l’ombre du passé cette grande figure de Guillaume III, que le hasard d’une dissertation académique lui avait autrefois présentée à Cambridge. Ce sera là son héros politique : il lui consacrera tous ses loisirs et toute son éloquence ; mais le bonheur de finir une entreprise commencée trop tard lui sera refusé.

A son retour de l’Inde, Macaulay, pour se reposer, commença par visiter l’Italie, non pas en artiste ou en érudit, mais en simple lettré. Les beautés de la nature ne le passionnèrent jamais beaucoup, et, quoiqu’il sût tout comme un autre composer de belles descriptions, ainsi que le témoigne celle du défilé de Glencoe dans le septième volume de son Histoire, il était plus curieux de vérifier le dire des poètes et des orateurs romains sur les lieux dont ils ont parlé, que d’admirer ces lieux eux-mêmes. Il avait en cette