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monarchie., Voilà ce qu’on a oublié dans ce scrutin du 21 juillet, où quatre voix de majorité ont décidé que l’état resterait avec sa prérogative amoindrie par la loi de 1875, et l’inconvénient de ce vote est précisément de ne rien décider, de laisser au contraire une des plus délicates questions de droit public toujours ouverte.

Est-ce un acte de tactique parlementaire, une manifestation de parti plus ou moins dirigée contre le ministère, contre la politique du gouvernement depuis quelques mois, un avertissement destiné à devenir le préliminaire d’une intervention plus active du sénat ? L’erreur ne serait peut-être pas moins dangereuse. M. le duc de Broglie a certes déployé la plus habile éloquence pour entraîner le sénat, pour réveiller en lui le sentiment de son importance, même, si l’on veut, pour échauffer ses susceptibilités, et en relevant le drapeau conservateur, en donnant le signal de la résistance au risque de préparer un échec au gouvernement, il a eu sans doute sa pensée. Il a mis tout son talent et toutes les ressources de son esprit dans un discours brillant qui a eu probablement la fortune d’exercer une influence décisive sur le vote. En définitive cependant que s’est-il proposé ? A quoi tend cette campagne si hardiment conduite ? Quelles pouvaient en être les conséquences dans les conditions parlementaires qui existent aujourd’hui ? De deux choses l’une : ou l’échec du ministère devait rester sans résultat, et c’était exposer le sénat à l’ennui d’une démonstration inutile, ou bien le vote d’opposition demandé à la haute assemblée, infligé au gouvernement, devait ouvrir une crise ministérielle, devenir le point de départ de nouvelles combinaisons politiques, et alors s’est-on demandé dans quelle voie on allait entrer ? Que la politique du 24 mai ait saisi l’occasion de prendre une revanche de parole et de vote, soit ; et après ? Un pas de plus, c’est une réaction, mesurée peut-être encore le premier jour, fatalement précipitée le lendemain, conduisant à la dissolution de la seconde chambre, à des entreprises de plus en plus périlleuses, et les conservateurs du sénat seraient-ils sûrs de rester les maîtres de cette réaction, de la conduire comme ils le voudraient et où ils le voudraient ? Le 24 mai a déjà fait une fois les affaires de l’empire en préparant la bruyante rentrée en scène des bonapartistes. M. le duc de Broglie et ses amis ne se proposent certainement pas de recommencer l’expérience avec les mêmes alliés, d’engager une lutte dont la direction ne tarderait pas à leur échapper, dont l’empire seul recueillerait peut-être les fruits dans les circonstances présentes. Et qu’on ne dise pas que c’est là une perspective chimérique, c’est au contraire la logique d’une réaction, si elle éclatait aujourd’hui, si elle réussissait à s’imposer, et c’est là, il nous semble, ce qui doit faire réfléchir les conservateurs sénatoriaux qui ne sont pas des impérialistes, qui ne veulent pas travailler pour l’ennemi, qui peuvent nouer de bien plus utiles alliances avec un ministère résolu à maintenir toutes les garanties conservatrices dans la république.