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aussi que sans l’appui de la fortune sa situation serait toujours précaire dans la chambre des communes. Pourquoi dès lors ne renonça-t-il pas, comme il le fit plus tard, aux affaires publiques, pour se consacrer aux travaux littéraires, qui lui auraient certainement donné l’aisance ? Il serait difficile de le dire. Il se demandait déjà de quelle fascination ne devaient pas être victimes les honnêtes gens qui, au lieu d’être assis tranquillement avec leurs livres et leur tasse de thé dans une chambre fraîche, s’en allaient respirer un mauvais air, entendre de mauvais discours et sommeiller incommodément sur de mauvais bancs jusqu’à trois heures du matin. L’avenir même des institutions de son pays lui paraissait menaçant. Il ne voyait à l’horizon qu’un conflit acharné d’opinions extrêmes, une courte période d’oppression suivie d’une « réaction convulsive, et puis un écroulement épouvantable des fonds publics, de l’église, la pairie et du trône. » Aussi, lorsqu’on lui proposa d’aller occuper dans le conseil des Indes une place récemment créée, accepta-t-il sans hésitation l’exil et ses ennuis avec l’espoir d’épargner assez sur ses appointemens pour renoncer aux emplois publics. Ce calcul, si singulier qu’il paraisse, ne devait point être en défaut. Cependant on ne peut s’empêcher de regretter le temps précieux pour les lettres que les Indes coûtèrent à l’auteur de y Histoire d’Angleterre. S’il n’eût consulté que ses goûts, Macaulay serait certainement resté en Europe ; mais dans l’offre qu’on lui faisait il croyait lire son devoir, et cela lui suffisait pour qu’il surmontât la pensée d’un long voyage et d’une occupation toute nouvelle pour lui. Les regrets que causait son départ étaient vifs. Jeffrey déplorait le vide que son absence allait faire dans le parti libéral, et, quant à lady Holland, elle tempêtait, s’en prenait aux ministres, qui laissaient partir un tel homme, à sa famille, qui ne rougissait pas d’accepter un pareil sacrifice, et faisait retomber quelques gouttes de l’orage sur le « cher Macaulay, » fort étonné de la scène, et sur lord Holland, qui n’en pouvait mais. Le favori de Holland-House ne se laissa pas fléchir par ces marques flatteuses de l’intérêt universel qu’il inspirait, et vers le commencement de 1834 il quitta l’Angleterre, accompagné de sa sœur aînée, sans laquelle il était bien résolu de ne point s’en aller, et suivi d’une provision de livres.


III

« Ayez soin, monsieur, d’avoir toujours à votre table quelque jeune écrivain ou quelque cadet nouvellement arrivé, dont la santé florissante et les joues rebondies puissent attirer les moustiques, qui laisseront alors le reste de la compagnie tranquille. » Tel était