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sous un régime où, simplement tolérée par le pouvoir, il lui eût été périlleux de ne pas observer la plus sévère discipline intérieure, il pouvait cesser d’en être de même sous notre domination plus bien veillante. En vue de donner une sanction efficace à l’arrêté de 1830, on mit donc les gendarmes maures à la disposition du président du tribunal rabbinique pour l’exécution des sentences ; mais cette milice, recrutée presque entièrement parmi les musulmans, n’obéissait pas sans répugnance à des ordres émanés d’autorités juives, et d’autre part la vénalité arabe offrait aux intéressés des facilités singulières pour se soustraire à l’effet des décisions rendues contre eux. Ce défaut de sanction ne disparut que du jour où ces sentences furent soumises à l’appel devant nos tribunaux. Ces condamnations qui n’avaient pas été volontairement exécutées devenant ainsi, lorsqu’elles étaient confirmées en appel, des actes de la justice française, celle-ci put en assurer l’exécution par les moyens ordinaires.

Il serait fastidieux d’énumérer la série des transformations que subit durant les premières années la juridiction rabbinique. Notons cependant l’ordonnance de 1834, qui leur enleva toute attribution pénale et restreignit leur compétence civile aux contestations relatives à la nullité ou à la validité des mariages et répudiations, c’est-à-dire à des matières dépendant essentiellement dans les idées juives des statuts religieux.

Si la conséquence de leur longue dispersion n’avait pas été d’éteindre chez les Juifs le sentiment et l’idée de nationalité, ils se seraient sans doute énergiquement rattachés à la dernière institution échappée au naufrage de leur autonomie ; ils l’eussent unanimement honorée de leurs respects, affermie par leur soumission volontaire. Ils contribuèrent au contraire à jeter le discrédit sur les tribunaux rabbiniques, tantôt par la désobéissance ouverte, tantôt en les opposant les uns aux autres, comme dans le curieux procès dont un israélite, appartenant à l’une des familles intéressées, m’a communiqué les pièces. Le mariage admis par les rabbins, et pour cette raison appelé rabbinique, ne comportait aucune solennité et n’était point accompagné de ces garanties de forme dont la loi française entoure sous peine de nullité l’union conjugale : la célébration par le magistrat compétent, la publicité de l’acte, etc. Le mariage rabbinique résultait de la simple déclaration de leur volonté de s’épouser faite par les conjoints en présence de deux témoins. Salomon et Rachel appelaient leurs voisins Éphraïm et Mardochée » ils leur disaient : « Soyez témoins que nous nous unissons en mariage. » Le lien nuptial était formé. Les israélites riches faisaient d’ordinaire bénir leur mariage par le rabbin, la célébration en était aussi chez eux précédée de la cérémonie des fiançailles et suivie