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disait Jeffrey en s’adressant à l’auteur, et moins je peux m’imaginer où vous avez été chercher ce style. » C’était une question bien naturelle sans doute que se faisait le critique d’Edimbourg ; mais il est probable que Macaulay lui-même se serait trouvé fort embarrassé pour y répondre. Il en est du style original comme de ce vent dont parle l’Écriture, et qu’on entend sans pouvoir dire d’où il vient : ce qui est certain, c’est que celui de Macaulay était rate puissance.

On s’en aperçut bientôt dans la maison de Great-Osmond street où la famille du jeune écrivain vivait réunie. La table était chaque matin couverte de cartes d’invitations à dîner venues de tous les quartiers de Londres, ce que déplorait Zacharie Macaulay, qui voyait déjà son trop célèbre fils renoncer aux lois et jeter sa perruque poudrée aux orties. Le digne homme avait une façon puritaine et tragique de prendre les événemens heureux. Ainsi peu de temps auparavant Macaulay, demandant la parole dans un meeting présidé par le duc de Gloucester, avait fait applaudir les promesses d’un talent de parole supérieur. Le sujet, l’abolition de l’esclavage, était celui qui tenait le plus au cœur de l’ancien gouverneur de Sierra-Leone, et c’était son fils qui le traitait en public avec un certain éclat. Zacharie Macaulay ne laissa voir aucune émotion ? il fit seulement remarquer au jeune homme qu’à son âge on ne devait pas parler les bras croisés devant une personne de la famille royale : ce fut tout son compliment. Homme austère, travailleur infatigable et qui dans toute sa vie n’avait, en fait de repos, connu que celui qui lui avait été imposé par une chute de cheval où il s’était cassé les deux bras, il aimait son fils, mais il ne le comprenait pas.

A la sévérité naturelle de son humeur venaient s’ajouter des soucis réels. Le commerçant avait été moins heureux que le fondateur de colonie, et la prospérité de la maison Macaulay et Babington avait été de courte durée. Le moment n’était pas loin où de tous les privilèges d’un aîné le jeune essayiste ne garderait que celui de soutenir une famille nombreuse. En attendant, sa gloire naissante, loin de lui tourner la tête, ne faisait qu’augmenter la gaîté dont il remplissait la maison paternelle. Du matin au soir, c’était un feu roulant de plaisanteries, de bons mots, d’allusions et d’imitations burlesques. Le maître de la maison et sa femme avaient pour principe de laisser leurs enfans prendre leur plaisir où ils le trouvaient, sans se mêler à leurs avertissemens, qui d’ailleurs n’étaient pas compliqués. Tous les jours Macaulay, suivi de ses sœurs, parcourait les rues et les parcs de Londres, semant les anecdotes tout le long de la promenade. Pas une allée, pas une cour, pas un coin de la Cité dont il ne fît l’histoire : il l’aurait inventée au besoin. La soirée se passait à lire et à commenter quelques romans fameux, à chanter