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délégués français, pour la plupart acquis à ces opinions erronées, s’exerça en faveur des idées de temporisation dans les conférences de l’union latine. On était persuadé dans les bureaux des finances que ce nombre momentanément éclipsé ne tarderait pas à revenir et à briller d’un éclat plus vif que jamais. Les Italiens, qui ne gardent pas pour leur usage la monnaie qu’ils frappent, parce qu’ils sont en plein au régime du papier-monnaie, même pour les moindres coupures, calculèrent qu’il fallait maintenir le monnayage de l’argent en pièces de 5 francs, parce que, aussitôt après les avoir frappées, ils nous les renverraient avec profit. Ils se prononcèrent donc comme la France pour la continuation de la fabrication de ces pièces. Les Belges firent de même, mus aussi par une pensée égoïste pour l’état, à qui ils se flattaient de procurer de beaux profits en lui réservant absolument tout ce monnayage, sans prendre en considération les pertes ultérieures qui pourraient résulter de cette opération téméraire et répréhensible au point de vue de la maoralité. Dès 1873, le parlement belge, sur la proposition du gouvernement, vota une loi à cet effet. A partir de ce moment, l’union latine se livra à ce système de mesures bâtardes signalé plus haut, qui a eu deux degrés : 1° l’attribution aux différens états d’un monnayage en pièces d’argent de 5 francs d’un montant spécifié ; 2° l’absorption, par l’état, dans les pays qui pourraient le désirer, de ce monnayage réservé ou toléré. Les états qui n’ont pu résister à l’appât de ce beau gâteau d’argent et qui se complaisent à le dévorer sont les deux que nous avons nommés, la Belgique et l’Italie. Plus le temps a marché, plus le nombre 15 1/2, pour lequel diverses personnes très influentes avaient un engouement passionné, a été distancé ; mais plus l’idéologie qui caresse ce nombre a été démentie par les faits, et plus ses fidèles se sont opiniâtres à croire qu’il serait rétabli sur sa base par la divine Providence, qu’on suppose s’y intéresser.

La Suisse, qui mérite d’être classée à part du reste de l’union latine pour sa conduite remarquablement intelligente, digne et résolue, a voulu faire revenir ses associés de la fausse voie où l’union s’était laissé induire. Elle a été d’avis qu’on cessât d’adorer l’idole du double étalon, et qu’on tînt pour ce que c’était, c’est-à-dire pour une chimère, le rapport prétendu permanent de 15 1/2. Elle a répudié comme un présent inacceptable l’offre qu’on lui a faite tous les ans d’un lot dans le monnayage de l’argent. Elle a recommandé qu’on se ralliât au système monétaire qui a si bien réussi à l’Angleterre. Elle en a été pour ses frais d’éloquence. La France, dominée par la routine de quelques personnes considérables auxquelles on a eu la faiblesse de permettre qu’elles s’érigeassent en arbitres, la Belgique et l’Italie, cédant à des calculs égoïstes, mais chanceux, sur le profit à attendre pour l’état de la fabrication des pièces