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Choses, que son devoir était de réformer, est pire que celui du particulier qui suit la voie qu’on aurait dû fermer et que l’incurie ou l’inertie du gouvernement a laissée ouverte. Cet état ne peut prétendre qu’il ignore que la pratique à laquelle il se livre soit dommageable pour la société, puisque c’est la raison pour laquelle il l’a interdite aux particuliers. L’excuse d’un lucre pour le trésor public n’est pas admissible non plus. Un état ne peut rechercher un profit que par des moyens avoués de la morale et de l’intérêt public. D’ailleurs le lucre prétendu ne serait vraisemblablement qu’une illusion, car le jour où l’état sera forcé de démonétiser ces pièces dîtes de 5 francs et légalement qualifiées de telles, il peut avoir à les rembourser en or avec une perte aussi forte que le bénéfice de l’émission, sinon supérieure. Comment l’histoire moderne aurait-elle le droit de déverser un blâme sévère sur Philippe le Bel à cause de ses manœuvres sur les monnaies, si l’on reconnaît comme légitimes et honnêtes les agissemens monétaires du gouvernement belge et du gouvernement italien au sujet, des pièces d’argent de 5 francs ?

Outre que, depuis le vote du sénat, les faits inquiétans se sont caractérisés bien plus fortement, et appellent d’urgence des mesures plus efficaces, il n’est pas désirable que le projet de loi voté par le sénat obtienne l’assentiment de la chambre des députés, parce que la discussion du sénat a été incomplète et tronquée. On s’y est abstenu, on ne sait pourquoi, d’y user des raisons qui étaient les plus péremptoires. C’est ainsi qu’on n’y a point mentionné, si ce n’est de la façon la plus sommaire, un document où les informations abondent et dont les conclusions sont supérieurement motivées. Le sénat a discuté comme s’il n’y avait pas eu une enquête faite par les soins du conseil supérieur du commerce en 1869 et 1870, et dont les procès-verbaux forment deux gros in-4o imprimés à l’Imprimerie nationale.

Nous avons sous les yeux cette enquête. Il y en a rarement eu une plus complète. On y a entendu des hommes distingués et compétens, appelés du dehors de la France aussi bien que choisis au dedans. Les séances ont commencé le 9 décembre 1867 et se sont prolongées jusqu’au 29 juillet 1870[1]. L’audition et l’interrogation des témoins ont été approfondies, de même que la discussion entre les membres du conseil. Vingt-quatre longues séances ont été consacrées aux témoins, cinq aux débats intérieurs du conseil. Tout ce qui s’y est dit est consigné dans des procès-verbaux remarquables de lucidité, et dont la rédaction a été revue par les personnes mêmes qui avaient pris la parole. Le tout a été résumé dans un excellent

  1. On peut dire que le travail du conseil supérieur s’était terminé à la séance précédente, qui est le 14 juin.