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9/10es de fin par pièce de 5 francs, est un préjudice causé à la société, une violence exercée envers les créanciers qu’on force, le texte de la loi à la main, de recevoir pour 5 francs, c’est-à-dire pour le quart d’une pièce d’or de 20 francs, et en quantité indéfinie, des pièces qui en réalité sont loin de valoir 5 francs, depuis que la monnaie d’or domine dans la circulation, et que l’usage s’est établi de compter en or.

En conscience, prolonger par un procédé quelconque et en laissant cette faculté à qui que ce soit, particuliers ou gouvernemens, la fabrication des pièces d’argent dites de 5 francs, depuis que le métal est tant déprécié, c’est faire subir au système monétaire une altération profonde qui, sans être criminelle comme celle que se permettent les faux-monnayeurs, n’est pas sans avoir des traits de ressemblance avec elle dans ses effets. La comparaison n’est pas flatteuse, mais dans un cas aussi bien que dans l’autre on donne au public comme ayant une certaine valeur un disque de métal qui vaut moins. Assurément il serait injuste de confondre les deux actes dans la même réprobation. Le faux-monnayeur sait qu’il est en révolte contre la loi ; le particulier qui aujourd’hui fait convertir à l’Hôtel des monnaies des lingots d’argent en pièces de 5 francs ne viole point la loi. Il profite de ce que, par le changement des circonstances, quelques-unes des prescriptions de la loi de l’an XI sont devenues défectueuses, et de ce que le gouvernement a omis d’en poursuivre la réforme, bien que ce fût son devoir. Mais l’intérêt social est lésé dans les deux cas, et la lésion est, dans l’un aussi bien que dans l’autre, proportionnelle à l’écart entre la valeur effective de la monnaie émise et la valeur mensongère que lui attribue le faux-monnayeur, ou la valeur légale qu’elle tire d’une législation surannée, mais non abrogée.

Telle étant la portée de l’acte qui consiste à apporter à l’Hôtel des monnaies, dans les circonstances présentes, des lingots d’argent pour les échanger, poids de fin pour poids de fin[1], contre des pièces de 5 francs conformes au type indiqué par la loi de l’an XI, quelle conduite doit tenir un gouvernement qui se respecte et respecte son public ? Ne craignons pas de le dire : du moment qu’il interdit aux particuliers le monnayage dont il s’agit, il doit à plus forte raison se l’interdire à lui-même, et c’est pour cela que M. Léon Say doit être félicité du langage qu’il a tenu à cet égard. Strictement parlant, le particulier est dans son droit lorsqu’il use d’une faculté que la loi lui confère et que, par un oubli regrettable, on a laissé subsister, alors qu’elle était périmée en vertu des faits qui doivent servir de règle ; mais le cas d’un état bénéficiant de cet ordre de

  1. Sauf une retenue de moins de 1 pour 100 pour couvrir les frais de monnayage.