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de deux métaux précieux, l’or et l’argent, dans chacun des pays civilisés. La circulation simultanée a été poursuivie avec sollicitude par tous les gouvernemens européens avant le XIXe siècle. La règle qu’ils suivaient assez confusément, et qui était rationnelle, consistait à proportionner la valeur relative des espèces monnayées des deux métaux, d’après le cours respectif des lingots. Si le succès n’a pas répondu toujours à ces efforts, on a eu pourtant des réussites momentanées et même durables, qui recommençaient moyennant un changement nouveau dans le rapport légal entre la valeur des deux métaux, de manière à le rendre toujours conforme au rapport entre les lingots dans le commerce. Ce n’était même pas absolument le double étalon, puisqu’on avait l’habitude assez régulière de rapporter l’or à l’argent. Le côté faible du système était la fréquence de changemens de rapport entre les lingots par l’effet du libre mouvement du commerce, ce qui, si on avait voulu les suivre, eût imprimé une très grande mobilité au rapport entre les monnaies des deux métaux, et cet inconvénient a été en s’aggravant de jour en jour, parce que le commerce de l’or et de l’argent, autrefois soumis à beaucoup de restrictions et d’entraves, est devenu de plus en plus libre et facile. Mais les sectateurs modernes du double étalon, en cela moins logiciens et moins observateurs des faits que les gens des siècles antérieurs, ont compliqué la théorie ancienne de la double monnaie, comprise comme nous venons de le dire, d’une disposition inconnue jusqu’à eux, que rien assurément ne légitimait, qui est une pure fantaisie, et qui a absolument vicié leur programme : c’est de soutenir que le rapport de valeur entre les deux métaux précieux doit être exprimé dans la loi par un nombre fixe, immuable, 15 1/2.

Ainsi, suivant eux, la loi devrait porter que 15 kilog. 1/2 d’argent sont l’équation éternelle d’un kilogramme d’or. Ils prétendent même, ce qui est un peu fort, que les auteurs de la loi fondamentale des monnaies françaises, celle du 7 germinal an XI, l’avaient expressément entendu ainsi, et que le texte de la loi l’indiquait effectivement. Le fait est que l’exposé des motifs, les documens annexes et la contexture de la loi de l’an XI disent tout le contraire. N’importe, ils tenaient bon. Par leur imperturbable assurance et par une multitude de petites raisons entassées les unes sur les autres, ils gagnaient des prosélytes. Des hommes qui s’étaient fait de la réputation par leurs écrits économiques leur envoyaient leur soumission. Des notables de la bureaucratie s’inclinaient devant leur système, et ils montaient triomphans au Capitole lorsque l’expérience s’est montrée contre eux et a foudroyé, non pas leurs personnes, grâces à Dieu, mais leur système.

Il faut pourtant bien, puisque l’intérêt de la vérité l’exige, que