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lettrées, surtout au Bengale, l’ancienne religion hindoue est en voie de disparaître, même dans ses pratiques purement extérieures. Les uns s’en tiennent à un panthéisme plus ou moins conforme aux Veddas ; d’autres vont droit au positivisme ; un grand nombre adopte le culte rationaliste du Brahma Somaj, qui, professant pour tous dogmes l’immortalité de l’âme et l’existence d’un dieu personnel et conscient, est bien près de s’entendre, sur le terrain du protestantisme libéral, avec le mouvement réformateur des églises occidentales. Le Brahma Somaj se subdivise lui-même en plusieurs fractions, dont la plus avancée, ou Progressive Somaj, possède déjà dans la péninsule 102 mandirs ou congrégations distinctes.

Il faut aussi mentionner l’essor pris dans ces dernières années par la littérature indigène, surtout dans le nord de l’Inde, où la prédominance des Aryens a toujours maintenu une certaine activité intellectuelle. Cependant, si l’on excepte les traductions littéraires et scientifiques, la plupart des productions originales y appartiennent à la poésie et à la fiction. Parmi les sujets sérieux, ce sont la religion et la pédagogie qui viennent en première ligne. Les divers dialectes de l’Inde comptent plus de deux mille ouvrages publiés dans l’année 1872-1873, et ce mouvement ne s’est pas ralenti depuis lors ; le dernier rapport sur la situation générale de l’Inde constate en outre une élévation continue dans le ton moral de la littérature native. Quant à la presse indigène, née d’hier, elle compte déjà ses organes par centaines et ses lecteurs par dizaines de mille. Elle est aussi libre qu’en Angleterre, sauf que dans l’Inde l’autorité s’abonne largement aux journaux agréables, et que les employés du gouvernement ont défense expresse de lui envoyer des articles ou même des renseignemens quelconques. Les opinions diffèrent beaucoup sur la valeur réelle de cette presse. Il y a quelques années, on l’accusait d’être tout entière l’instrument d’une demi-douzaine de marchands qui, dans les grandes villes, donnaient le ton à deux ou trois des principaux organes et, par cet intermédiaire, à toutes les feuilles secondaires du pays. Je lui ai souvent entendu reprocher, avec des exemples à l’appui, d’être aussi ignorante que crédule, et de ne connaître aucun juste-milieu entre une servilité absolue vis-à-vis du gouvernement et une opposition ridicule à force d’être outrée. Cependant sir Richard Temple, dans le dernier rapport administratif sur le Bengale, tout en constatant les défauts et les lacunes des journaux indigènes, soutient « que la conclusion générale doit être plutôt favorable à la loyauté et au bon vouloir de la presse bengalaise envers la couronne, la nation et même la domination britannique, » — opinion confirmée, pour le reste de l’empire, par le rapport général sur la situation du pays. Il est certain que la presse indigène n’est encore capable ni de diriger ni même d’indiquer