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apparaît la politique anglaise au sud de l’Himalaya, comme sur les rives de la Manche, et si, en Angleterre même, cette tournure particulière de l’esprit national conduit parfois à des anomalies qui étonnent l’étranger, seule dans l’Hindoustan elle a permis à une poignée d’Européens de maintenir leur domination sur les 200 millions d’hommes qu’ils sont en train d’initier graduellement aux lumières de notre civilisation. C’est surtout quand les abus sociaux reposent sur des préjugés religieux qu’une extrême prudence est impérieusement commandée à l’Angleterre, car le fanatisme, — chez les Hindous aussi bien que chez les mahométans, quoique à un moindre degré, — est la seule passion qui puisse arracher l’indigène de l’Inde à sa docilité traditionnelle. Quand le conseil législatif discuta la loi sur le mariage des veuves, il enregistra plus de cinquante mille protestations contre cette mesure, et personne n’a oublié cet incident ridicule des cartouches graissées, qui fut, sinon la raison déterminante de la grande rébellion, du moins l’occasion d’un rapprochement décisif contre l’autorité anglaise entre les cipayes hindous et mahométans.

Aussi le gouvernement actuel se renferme-t-il, autant que possible, dans cette attitude de neutralité religieuse qui distinguait déjà la politique de la Compagnie. Sans doute il n’interdit plus comme autrefois l’accès de son territoire aux missionnaires de toutes les églises chrétiennes, mais il se garde de leur donner le moindre encouragement qui puisse l’exposer au reproche de prosélytisme, et récemment certains journaux anglais de l’Inde ont même critiqué le prince de Galles pour avoir simplement répondu à une adresse de missionnaires « qu’il éprouvait une vive satisfaction à voir ses compatriotes répandre parmi les sujets de la couronne les vérités qui constituent le fondement de notre système religieux et politique. » Le gouvernement, à vrai dire, entretient des églises et des chapelains ; mais c’est uniquement pour les besoins religieux de ses troupes européennes, et, d’un autre côté, il ne se montre jamais avare des deniers publics lorsque, sous prétexte d’encouragement aux beaux-arts, on vient lui demander les fonds pour restaurer les antiques sanctuaires de l’idolâtrie. Enfin, s’il subventionne les écoles des missions, c’est au même titre que les établissemens d’instruction fondés par l’orthodoxie hindoue, mahométane ou guèbre, et, dans ses propres écoles, il entend maintenir la neutralité religieuse la plus absolue. C’est ainsi que j’ai vu moi-même un administrateur blâmer un instituteur pour avoir introduit dans le cours de géographie un manuel qui, en énumérant les traits caractéristiques des religions les plus répandues, affirmait la supériorité de la morale chrétienne. J’ai d’ailleurs remarqué dans plus d’une circonstance que le contact des cultes, et surtout des philosophies