Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effet, tant qu’il ne s’agit que de consommer les provisions apportées par les navires, tout alla bien ; mais lorsqu’il fallut se mettre à l’ouvrage et songer à l’avenir, les colons montrèrent moins de goût pour la besogne. Un ramassis de nègres venus ceux-ci de la Jamaïque, ceux-là de la Nouvelle-Ecosse et les autres de Londres, n’ayant en commun qu’un jargon barbare, les souvenirs de la servitude et la haine du travail, il y aurait bien eu là de quoi inspirer, sinon des regrets, du moins des doutes, à un adversaire de l’esclavage moins convaincu que ne l’était Zacharie Macaulay. Celui-ci, forcé d’être à la fois juge, diplomate, secrétaire, trésorier et chapelain de la colonie, n’avait pas le temps de s’abandonner au découragement. Quant aux dangers, ne craignant au monde que sa conscience et Dieu, il y était insensible. Au bout de quelques mois d’un labeur pénible, il avait bâti une ville, ensemencé des champs et rempli des écoles. Par malheur, un dimanche du mois de septembre 1794, une escadre française vint mouiller à portée de fusil, balayer à coups de mitraille les rues de la cité naissante et mettre la colonie au pillage. M. Trevelyan s’est montré sévère pour ce qu’il appelle « l’état de la marine française pendant la période héroïque de la république. » Il se raille agréablement des tableaux de fantaisie où l’on nous peint, dans un style populaire, les guerres de la révolution ; il est sans pitié pour la tradition et ne laisse guère que deux choses aux matelots improvisés qui malmenèrent Freetown : leurs haillons et leur enthousiasme patriotique. Peut-être pourrait-on lui reprocher d’avoir conclu trop facilement du particulier au général. Toujours est-il qu’après avoir pendant une année fait de son mieux pour effacer les traces de l’invasion, Zacharie Macaulay retourna en Angleterre pour rétablir sa santé, que les fatigues et les fièvres avaient minée. Il rapportait de Sierra-Leone une foi intacte dans l’avenir de son œuvre, et, ce qui est moins explicable, une admiration sans bornes pour la salubrité du climat africain. Ce fut alors qu’ayant vu chez la célèbre Hannah More, miss Selina Mills, fille d’un libraire de Bristol qui faisait partie de la Société des Amis, il lui demanda sa main, l’épousa et vint à Londres comme secrétaire de la compagnie philanthropique à laquelle il avait voué sa vie. De ce mariage naquit, le 20 octobre 1800, à Rothley-Temple (Leicestershire), celui qui devait être lord Macaulay.

Comme beaucoup d’hommes marqués pour la gloire et comme beaucoup d’autres destinés à la médiocrité, Thomas Babington Macaulay fut un enfant fort remarquable par sa précocité. On le voit à trois ans couché devant un livre, une tranche de pain beurrée à la main, ou redisant à sa bonne émerveillée d’interminables histoires. Sa mémoire tenait dès lors du prodige. Les mots venaient s’y fixer