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aux cercles dorés, qui servait à rappeler le faucon dans son vol.

La suite de l’ambassadeur était trop nombreuse pour trouver place toute entière à bord du Bonaventure. Dix Russes durent s’embarquer sur la Speranza, dont la cargaison était estimée 6,000 livres sterling. Le chargement total de l’escadre, composé de cire, d’huile de poisson, de suif, de fourrures, de feutre, de fils de caret, ne pouvait s’évaluer à moins de 20,000 livres. Les vaisseaux de la compagnie seraient-ils revenus, si l’on considère leur faible tonnage, plus richement chargés des Indes ou du Cathay ? La flotte était d’ailleurs de nouveau en mains sûres, car Chancelor, celui que les Anglais appelaient « le grand pilote, » venait d’entreprendre le commandement. Monté avec Osip Népéi sur le Bonaventure, cet habile homme de mer n’eût voulu s’en fier à personne du soin de conduire à bon port une ambassade aussi importante. Malheureusement les deux navires rendus à la compagnie, la Speranza et la Confidentia, n’avaient pas sans dommage, passé deux hivers sur les côtes de la Laponie. Ils faisaient beaucoup d’eau, et les pompes marines, dont les Espagnols semblent avoir dès l’année 1529 généralisé l’usage, seraient peut-être d’un faible secours en cas de tempête. Or comment se flatter de passer sans tempêtes des bords de la Dvina aux bords de la Tamise ! Peu de jours après le départ, la flotte était dispersée. La Bona-Speranza, le Philippe-et-Marie, la Confidentia, furent poussés suc la côte de Norvège, dans les eaux de Drontheim. Le Philippe-et-Marie hiverna dans ce port et ne reparut sous les quais de Londres que le 18 avril 1557 ; la Confidentia sombra sur un rocher à l’entrée de la baie. Quant à la Speranza, ni Londres, ni Moscou n’en eurent de nouvelles. Le malheureux vaisseau de Willoughby sombra très probablement en pleine mer. Méfiez-vous des navires que poursuit la malechance. Pas plus qu’un général, un navire ne saurait, sans quelque raison secrète, être habituellement malheureux. L’Edouard-Bonaventure, du moins, se montra-t-il fidèle à sa bonne fortune ? Nous avons regret à le dire : l’Édouard-Bonaventure ne sut pas, en dépit de son nom et d’un premier succès, échapper cette fois au commun désastre. Depuis près de quatre mois, ce vaisseau, séparé de ses compagnons, battu de tous les vents, n’avait cessé de tenir la mer. Le 10 novembre 1556, la tempête le portait vers la côte septentrionale d’Ecosse. Chancelor crut devoir y laisser tomber l’ancre. Il mouilla dans la baie ouverte de Petslego[1]. Ce fut à coup sûr une manœuvre imprudente ; peut-être aussi fut-ce dans la circonstance

  1. Petslego-Castle. Ce château, aujourd’hui en ruines, est situé à 3 milles à l’ouest du cap Kinnaird, par 57° 42’ de latitude nord, 4° 26’ de longitude ouest.