Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/575

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi çà et là. Il était évident que l’île Vaigats recevait souvent la visite de ces tribus nomades et que le canal qui séparait l’île de la terre ferme devait être un canal facile à traverser.

Le 5 août, un terrible amas de glace parut se diriger sur le mouillage qu’occupait le Searchthrift. La mer de Kara se mettait en mouvement. Il fallut s’éloigner au plus vite et retourner sous la côte méridionale de la Nouvelle-Zemble. Le bateau de Loshak et deux petites lodias de Kholmogory ne tardèrent pas à y rejoindre la pinnace. Stephen Burrough se fit descendre à terre et se mit en devoir d’observer avec soin la variation du compas ainsi que la latitude. Ses préoccupations de capitaine, si graves qu’elles pussent être, ne lui faisaient jamais oublier ses devoirs d’hydrographe. La variation ne dépassait pas 8 degrés nord-ouest ; la latitude 70° 25’. Stephen Burrough s’opiniâtrait encore à ces observations, quand il vit tout à coup les trois lodias quitter précipitamment le mouillage et se diriger vers le sud. Ces bateaux, pour gagner le large, durent circuler au milieu des îles et passer par-dessus des bancs où la pinnace ne pouvait songer à les suivre. Burrough resta donc à l’ancre, se demandant en vain d’où venait la hâte de ses compagnons et pourquoi Loshak, jusque-là si fidèle, s’éloignait le premier sans avoir pris le temps de lui faire ses adieux. Le ciel, dès le lendemain, se chargeait d’expliquer cette fuite et de justifier l’apparent abandon. Un effroyable coup de vent de nord-nord-est s’abattit sur la rade où s’était réfugié le Searchthrift. L’instinct des Kerils les avait dès la veille avertis d’un péril qui n’admettait pas, pour y échapper, de délai. La petite île qui couvrait la pinnace de la mer du large fut, en quelques minutes, entourée et débordée par les glaces. La tempête se prolongea ainsi du 6 au 8 août, accompagnée de neige, de pluie, de grêle. Jamais situation ne fut plus périlleuse. Le vent se calma enfin et passa insensiblement du nord-est au sud-est. Le moment était venu de suivre l’exemple des Russes et d’abandonner des parages où l’on se trouvait exposé à de tels assauts.

La neige, dans les régions arctiques, commence généralement à tomber dès les premiers jours du mois d’août. L’épais brouillard qui flotte dans l’atmosphère se dépose en même temps sous forme de gelée blanche et couvre le sommet de toutes les éminences ; la surface de la mer fume comme un four à chaux. La première couche de glace ne tardera pas à s’étendre sur les flots alourdis. Vers la fin d’octobre, la mer solidifiée n’aura pas moins de cinq ou six pieds d’épaisseur. Le 9 août, Stephen Burrough parvint à se mettre au large des bancs et des petites îles. Le temps était si brumeux qu’on pouvait à peine distinguer les objets à la distance d’une ou deux encablures. Stephen donna l’ordre de ferler toutes les voiles