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amplement cette leçon de cosmographie. Loshak offrit en retour aux Anglais dix-sept oies sauvages.

Le 31 juillet, le vent fraîchit et ne tarda pas à tourner à l’ouest. Le Searchthrift en profita pour aller mouiller au milieu d’un groupe d’îles peu distant de la côte méridionale de la Nouvelle-Zemble. La pinnace s’engageait ainsi peu à peu dans le détroit que les Russes appellent aujourd’hui Karskie-Vorota, — la porte de la mer de Kara, — et que les Anglais désignèrent longtemps sous le nom de détroit de Burrough. Ce canal a près de 10 lieues de large ; il sépare la grande île Vaigats de la terre découverte par Willoughby et retrouvée par l’ancien maître de l’Édouard-Bonaventure. Retenu pendant deux jours au mouillage par la dérive des glaces et par les tempêtes de neige, Stephen Burrough appareilla le 3 août et parvint à gagner l’extrémité nord-est de l’île Vaigats, en d’autres termes, le cap Bolvanovsky, situé par 70° 29’ de latitude. Là se trouvait déjà rendue la lodia de Loshak. « Les morses se font rares sur ces îles, dit au capitaine de la pinnace anglaise l’entreprenant patron. Si Dieu nous envoie un temps et un vent favorables, j’irai jusqu’à l’Oby avec vous ; j’irai du moins jusqu’à la rivière Naramzay, — probablement la rivière de Kara, — où le peuple n’est pas aussi sauvage que les Samoïèdes de l’Oby. Ces derniers tirent sur tous les hommes qui ne peuvent s’adresser à eux en leur langue. Les Samoïèdes de Naramzay visitent au contraire souvent l’île Vaigats. Ils n’ont pour subsister que le produit de leur chasse et le blé que nous leur apportons. Leurs canots, comme leurs tentes, sont faits de peaux de rennes. Quand ils arrivent à terre, ils emportent la barque qui leur a servi sur leur dos. Adroits chasseurs, ils n’ont pas d’habitations fixes, ignorent complètement l’usage de l’écriture et adorent de grossières idoles auxquelles, de temps à autre, ils viennent, ici même, adresser leurs prières ou faire leurs sacrifices. »

Le cap Bolvanovsky semble avoir été de longue date un promontoire sacré. Quand Stephen Burrough, accompagné de l’intelligent Keril, descendit à terre, Loshak le conduisit vers un monceau d’idoles samoïèdes, au nombre de trois cents environ. « C’était bien, dit Burrough, le plus brutal ouvrage que j’eusse jamais vu. » La plupart des idoles affectaient la forme d’hommes, de femmes ou d’enfans ; quelques-unes n’étaient qu’un vieux bâton avec deux ou trois coches destinées à figurer la bouche et les yeux. Toutes se présentaient barbouillées de sang. De distance en distance, devant ce panthéon sauvage avaient été dressés de gros blocs de bois pour y poser, suivant toute apparence, à la portée des dieux les sanglantes offrandes qu’on leur apportait. Le sol gardait encore tout alentour de nombreuses traces des Samoïèdes et de leurs traîneaux. Les foyers et les broches dont ils avaient fait usage se rencontraient