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qu’ils avaient acquis s’ils ne prenaient la précaution de se créer quelque appui sérieux à la cour. Après avoir adroitement gagné par leurs présens un des boïars le plus en crédit, ils s’ouvrirent à lui de leur découverte. Ce boïar se chargea d’en faire part à l’empereur. « Quelques gentilshommes pauvres » partirent alors de Moscou « avec les enfans d’Anica. » Ces gentilshommes, parlèrent aux Samoïèdes de l’empereur de Moscovie ; Ils leur firent entendre que le grand prince dont ils se faisaient gloire d’être nés les sujets, était moins un roi qu’un Dieu condescendant à habiter la terre. Un tel langage ; dans la bouche de gens convaincus les premiers de ce qu’ils avançaient, ne pouvait manquer de produire une vive impression sur les simples esprits qu’il s’agissait de séduire. Les peuplades campées en deçà de l’Oby se crurent trop heureuses de pouvoir, au prix bien modique d’une redevance annuelle, acheter la protection d’un si puissant monarque. L’an 7033 de la création du monde, — 1525 de notre ère, — elles promirent de payer chaque année au tsar un tribut de deux peaux de martre-zibeline par tête d’habitant. Ce tribut devait être porté à Petchora et à Poustoser[1]. Sous le règne d’Ivan IV, les Samoïèdes, qui n’avaient encore paru jusque-là qu’à la grande foire d’Oustioug, commencèrent à fréquenter le marché de Kholmogory. Ce village dépendait de l’évêché de Vologda. En 1543, il eut un gouverneur ; Vasili-Mikaïlovitch, Vorontzof vint y représenter la personne sacrée du tsar. A la même époque, des marchands de Kholmogory, attirés par L’appât du lucre, osèrent franchir le golfe de l’Oby et s’avancer de plus de 200 lieues vers l’Orient. « Ils virent en ce voyage plusieurs espèces d’animaux rares, de belles fontaines, de beaux bois, des herbages admirables, et divers Samoïèdes dont les uns étaient montés sur des élans, les autres traînés par des attelages de chiens qui couraient aussi vite que des cerfs. » Un de ces facteurs, dont les chroniques anglaises nous ont légué le nom, Féodor Toutigui, prétendait être arrivé ainsi, « suivant toujours la côte, » à ce lointain empire vers lequel tendaient de nouveau tous les vœux du persévérant gouverneur de la Compagnie moscovite. Quelque malentendu se glissa probablement dans cet entretien : Féodor put rencontrer des peuplades venues de la Mongolie ou des bords du lac Baïkal ; il est impossible d’admettre qu’il ait visité lui-même le Cathay. Ce nouveau Sinbad trouva d’ailleurs la mort dans un second voyage ; il périt, massacré, dit-on, par les Tartares.

On voit par ce rapide exposé quelles étaient les notions nouvelles que la compagnie moscovite avait acquises en 1556 sur des

  1. Le nom de Poustoser est dérivé de deux mots russes : pousto, désert, et osero, lac.