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coup de dés qui aurait amené un si merveilleux résultat devient par trop absurde. Combien a-t-il fallu de combinaisons fortuites pour produire enfin l’œuvre cosmique que nous voyons ? L’imagination recule devant le nombre de ces combinaisons ; et puis, l’œuvre faite par enchantement, comment expliquer qu’elle puisse résister aux caprices du hasard détruisant ce qu’il a construit ? Les adversaires des causes finales, les atomistes de l’école de Démocrite et d’Épicure, sont donc mis littéralement au pied du mur par la triomphante réfutation des grandes écoles dont nous venons de parler. La thèse des causes finales rencontre, nous devons l’avouer, de tout autres difficultés depuis que la science a changé toutes nos notions sur l’origine du monde et les propriétés de la matière cosmique. Avec l’hypothèse du chaos, avec la fausse image d’une matière inerte et confuse (indigesla moles), simple substrat des propriétés qui lui viennent d’un principe moteur et organisateur étranger, il n’y avait pour l’atomisme et le mécanisme aucune possibilité logique d’échapper à l’intervention d’une cause finale aussi bien que d’une cause motrice. Au contraire, avec la théorie d’une matière élémentaire dont la force est non-seulement l’attribut, mais l’essence même, avec l’éternelle action des lois naturelles, dont l’ordre est la résultante évidente, la nécessité d’une cause motrice et d’une cause finale distincte n’apparaît plus avec la même rigueur. L’activité et l’ordre étant considérés par les savans et la plupart des philosophes contemporains comme les caractères essentiels de toute substance, de tout être, si rudimentaire qu’en soit la forme, il s’ensuit qu’il n’y a point à chercher en dehors de la matière cosmique l’explication de ces deux grands phénomènes. Que vient donc faire la métaphysique avec ses principes transcendant ? Si la mécanique, la physique, la chimie, suffisent à expliquer l’ordre si compliqué des mouvemens célestes et des actions moléculaires, pourquoi n’expliqueraient-elles pas toute espèce d’ordre, même celui qui, dans la nature vivante, offre le plus d’analogie avec l’ordre des œuvres humaines ?

Telle est l’objection qu’il faut résoudre, si l’on veut en finir avec les répugnances des savans pour les causes finales. Tout en laissant voir sa préférence pour la philosophie qui étend à toute la nature l’application du principe de finalité, M. Janet se contente de l’établir solidement dans le domaine de la nature vivante. Nous craignons que la victoire ne soit pas sûre tant qu’elle n’est pas complète ; nous pensons qu’il faut suivre la science sur son terrain et accepter le problème tel qu’elle le pose : partout où il y a une loi, il y a un ordre quelconque de phénomènes, et partout où il y a ordre, pourvu qu’il soit constant et universel, il y a finalité. Qui dit loi dit ordre ; qui dit ordre dit finalité : tous ces termes s’impliquent logiquement.