Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/504

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

phénomènes de cristallisation ? Nul ne dira que les molécules des différens corps se rapprochent les unes des autres afin de former des prismes, des cônes, des pyramides, comme on le dit des corps vivans qui obéiraient à des fins déterminées dans leur formation et leur développement. Et pourtant quoi de plus régulier que cet arrangement ? Ordre purement géométrique, dira-t-on ? Mais ne semble-t-il pas ici que les parties s’arrangent en vue du tout, en sorte que le tout serait la loi directrice des parties aussi bien que dans l’organisation des êtres vivans ? Et pourquoi ne dirait-on pas : de même que les molécules vivantes, en vertu de propriétés semblables, se coordonnent sur le type des vertébrés, des articulés, des rayonnes, dans un ordre tout mécanique ? Quelle différence en effet entre les types zoologiques et les types chimiques, sinon que ceux-là sont plus compliqués ?

C’est à une illusion du même genre que se laissent prendre les partisans des causes finales dans l’explication des phénomènes de la vie. Une école de physiologistes, en tête desquels se place M. Claude Bernard, reconnaît l’impossibilité d’expliquer le développement de la nature vivante sans faire intervenir un principe nouveau, de façon que les lois physiques et chimiques ne soient plus que les conditions, non les causes réelles de ce développement. Elle parle d’une idée directrice et organisatrice qui règle et commande ce qu’elle appelle l’évolution morphologique de l’animal, admettant un dessin vital qui sert de type et de plan à la formation de l’être organisé. Erreur encore et inconséquence de savans qui ne poussent pas la méthode scientifique jusqu’à ses dernières conséquences. L’illusion est sans doute plus naturelle et d’autant plus difficile à dissiper que l’analogie entre les œuvres de l’art et les œuvres de la nature vivante est plus frappante. Suivant M. Robin, l’adaptation des organes aux fonctions n’est qu’une vaine apparence. Il y a, non pas appropriation, mais simplement manifestation de propriétés inhérentes à l’organe même. Les phénomènes vitaux ne sont pas les actes d’un appareil déterminé et particulier, ce sont des résultantes qui résument l’ensemble des phénomènes de la matière vivante et tiennent à la totalité des conditions de l’être organisé[1]. Pourquoi comprend-on si difficilement l’organisation des parties en un tout vivant, tandis que la composition des parties en un tout inorganique n’offre aucune difficulté à la pensée ? C’est qu’on ne se fait point une idée exacte des élémens qui composent le tout vivant. Ce ne sont pas des élémens bruts, comme ceux qui servent de matière au corps inorganique, ce sont des molécules douées de propriétés

  1. De l’Appropriation des organes aux fonctions.