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sens absolu du mot. Reste le fond de la doctrine, que nous n’entendons pas réduire à néant par cette correction de langage, à savoir ce mécanisme qui de tout temps, sous des formes plus ou moins précises, a prétendu expliquer toutes choses par les mouvemens et les lois qui constituent le monde inorganique. Les mots âme, esprit, spiritualisme, panthéisme, etc., ne donnent pas moins prise à des abus de langage. Il n’est donc pas douteux que la réforme des mots aide singulièrement à la réforme des idées, et c’est un signe caractéristique de la profonde révolution qui s’opère en ce moment que l’emploi d’un langage vraiment scientifique, dans lequel les mots répondent à des notions et non à des métaphores.


II

Les meilleurs esprits parmi les philosophes de notre temps et de notre pays, les plus curieux de la vérité en même temps que les plus fidèles aux nobles traditions de la philosophie spiritualiste, cherchent aujourd’hui ce qu’il est possible de conserver dans ces traditions mêlées de vérités éternelles et de formules surannées, devant l’invasion des idées nouvelles. Très convaincus de la solidité de certains vieux principes, tels que la finalité, l’intelligibilité du cosmos, de certains faits tels que l’unité, l’individualité des êtres vivans, l’autonomie, la responsabilité de l’être humain, ils se demandent comment il pourrait y avoir contradiction entre la philosophie et la physique, entre la conscience et la science sur ces graves problèmes, et ils donnent à nos savans, trop absolus souvent dans leurs conclusions, l’exemple d’une méthode de conciliation qui n’emprunte aucune de ses conclusions à une autorité que la science ne puisse admettre. M. Janet est un de ces philosophes ; il n’a de parti-pris contre aucune des théories qui font en ce moment leur chemin dans le monde savant ; il est plein de confiance dans la science et dans ses méthodes, et il pense que la philosophie n’a rien de mieux à faire que d’accepter tout ce que la science a réellement constaté ou démontré. Seulement il entend maintenir le droit de la critique devant l’enthousiasme peu réfléchi ou les préventions systématiques de certains savans. Le livre qu’il vient de publier sur les Causes finales[1] n’est pas seulement considérable par l’importance des questions qu’il y traite, remarquable par la sûreté des méthodes qu’il y applique, par la finesse et l’exactitude des analyses, par la vigueur des raisonnemens, par l’élégante clarté du langage ; il emprunte à la situation que nous venons de définir un

  1. Les Causes finales, par M. Paul Janet, de l’Institut ; Paris 1876.