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qu’a subies le sentiment du beau. Prétendre connaître un peuple et se passer de savoir comment il a compris l’idéal des formes, l’expression de la pensée, par la reproduction de la figure vivante et de la nature, serait aussi peu réfléchi que supprimer de l’histoire les idées morales et les religions. Si l’étude de l’art n’est pas, comme l’a voulu l’école d’Ottfried Müller, toute l’archéologie, elle en est du moins une des parties les plus attrayantes et peut-être la plus noble de toutes. Nous trouvons naturellement dans ce volume beaucoup de pages qui sont consacrées à des œuvres dont le principal mérite est d’être belles. Tels sont les mémoires sur les peintures de la maison de Livie. Croit-on qu’il soit indifférent à l’historien de savoir comment les Romains, aux débuts de l’empire, comprenaient la grande décoration, comment ils traitaient à la fresque ces sujets que la Grèce avait inventés au temps de Polygnote, qui avaient charmé ensuite le monde hellénique tout entier pour venir enfin de la Campanie sur le Palatin ? L’auteur s’arrête devant ces tableaux ; il les compare aux vases peints du IVe siècle avant notre ère, aux images que mous conserve Pompéi. De telles études n’invitent pas seulement à des analyses charmantes ; elles sont d’une sérieuse instruction. Ce qui passionne ici le savant, c’est de découvrir les rapports de la peinture d’une époque et de l’esprit général de ce temps, de montrer avec netteté ces rapports à un moment précis de l’histoire, de faire dans la critique la part de l’absolu et du relatif, de marquer ce qui est de l’art de tous les temps, ce qui n’appartient qu’au génie particulier d’un peuple et même de quelques hommes dans ce peuple.

Ces chapitres nous amènent à des observations plus délicates. Parmi les objets que nous a laissés l’antiquité ceux-là mêmes qui n’ont pour l’artiste aucune valeur gardent encore le privilège de nous faire comprendre par les yeux, de nous faire voir ce qu’était la vie matérielle du passé. S’habituer, à force de connaître les formes, les lignes, les couleurs, les types, les costumes, les habitations, les ornemens que les anciens ont préférés, à faire revivre cet ensemble, à placer dans un tableau vrai les faits que raconte l’histoire, à ne pas séparer la pensée et le sentiment du milieu où ils se sont produits, qu’ils avaient formé en partie et dont ils subissaient l’influence, c’est se procurer une singulière ressource pour se garder des contre-sens, pour arriver à la nuance vraie, pour sentir d’instinct ce qui est antique et ce qui me l’est pas. Les formes, les représentations figurées ont cet avantage qu’on les voit telles qu’elles sont, au lieu que la poésie et la prose cachent la pensée sous les voiles d’une langue que les plus instruits d’entre nous ne savent que balbutier. Tout est gauche, timide, dans nos meilleures traductions, et que deviennent dès lors la naïveté et le naturel du sentiment ? Dans cette incertitude, quand nous lisons les anciens, nous sommes toujours exposés à les imaginer tels que nous sommes, — nul de nous d’échappé tout à fait à ce péril ; les trois siècles qui ont suivi