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Non, en vérité, on ne peut pas dire que tout soit pour le mieux dans nos affaires intérieures, et que nous soyons arrivés à ce calme confiant qui naît du jeu régulier d’institutions accréditées. Ce qui est frappant au contraire, c’est que tout reste indécis et que, si l’on n’y prend garde, on risque de tomber dans une impuissance tourmentée. Quand ce n’est pas une élection imprévue révélant dans le sénat des arrière-pensées de résistance et de lutte, c’est dans la chambre des députés qu’éclatent à tout propos les incohérences de majorité. Quand le ministère n’en est point à se débattre et à compter des voix pour savoir s’il pourra réussir à enlever sa loi sur la collation des grades, il est réduit à conquérir péniblement une loi municipale amoindrie d’avance par des transactions sans netteté, par des manèges parlementaires assez puérils. Quand le conflit ne menace pas d’un côté, il apparaît de l’autre, et en définitive depuis plus de quatre mois que la session des chambres nouvelles est ouverte, qu’a-t-on fait ? A quoi est-on arrivé ? Le ministère s’est agité, le sénat a louvoyé et attendu, la chambre des députés a multiplié les propositions de fantaisie, les invalidations électorales, les enquêtes qui ont servi à recueillir les commérages d’un arrondissement, et, tout compte fait jusqu’ici, le dernier mot de cette laborieuse session de quatre mois est une situation où il y a quelques illusions de moins, quelques impossibilités ou quelques difficultés de plus. L’unique explication, c’est que depuis le premier moment on n’a cessé de se méprendre, on est allé un peu au hasard, sans direction, sans se rendre un compte assez exact des conditions réelles de ce régime qu’on était appelé à pratiquer.

C’est une question de bon sens et de jugement. Une constitution avait été promulguée, établissant la république comme le régime légal de la France, créant des pouvoirs de diverse nature. La crise d’organisation était passée. Les élections venaient de se faire, elles avaient envoyé une majorité républicaine considérable dans la chambre des députés, une majorité moins accentuée ou, si l’on veut, plus conservatrice au sénat. En réalité, ces deux assemblées, avec des tempéramens différens, étaient destinées à se compléter, à se corriger, en concourant à la même œuvre constitutionnelle. M. le président de la république, fidèle à son rôle, n’avait point hésité à se rendre aux indications du suffrage universel, à former un ministère répondant, par le caractère et les opinions des hommes qui le composaient, à cette situation nouvelle. C’était visiblement un ministère de raison, de conciliation, fait pour rassurer, pour rallier les partisans sincères de la république, sans rompre avec les nécessités de modération inhérentes à tout régime régulier, et d’ailleurs imposées par l’esprit conservateur du sénat aussi bien que par les traditions ou les préférences de M. le président de la république lui-même. Il représentait l’harmonie des pouvoirs dans les limites de la constitution de 1875. Eh bien ! dans ces conditions, était-il donc impossible de