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s’étonner de trouver ces deux personnages réunis en un seul homme, et M. Doudan jouissait de ce contraste en homme d’esprit qui comprend tout et ne s’étonne de rien.

On ne peut passer sous silence au moins l’une des deux ou trois esquisses que l’on nous donne de M. Thiers. Nous le voyons paraître dès 1835, au lendemain de son discours de réception à l’Académie française. Quelle séance et quel discours ! « J’ai regret, écrit M. Doudan à Mme Auguste de Staël, que vous n’ayez pas vu cette séance, que vous n’ayez pas vu M. de Talleyrand arrivant sur les bancs de l’Académie en costume d’académicien. Il a produit un effet singulier de curiosité, comme une vieille page toute mutilée d’une grande histoire. A côté de cette destinée presque accomplie, M. Thiers arrivait avec toutes les espérances, tout l’orgueil du présent et de l’avenir. Il racontait d’un air hardi ces agitations qui ont passé sur l’Europe depuis trente ans. Son discours était vivant ; on entendait rouler les canons de vendémiaire, on voyait la poussière de Marengo et les aides-de-camp courir à travers la fumée du champ de bataille ; tout cela raconté devant des hommes qui avaient vu César, et le consulat et l’empire, et par un jeune homme qui avait concouru à une grande révolution après avoir écrit l’histoire d’une autre révolution ; tout cela avec le sentiment que lui aussi serait un jour dans l’histoire. En sortant de l’Institut, je n’ai plus vu sur la place Vendôme qu’une grande statue de bronze immobile et les nuages qui couraient au-dessus comme les agitations du jour au-dessus des souvenirs du passé. » A quarante années de distance, que de réflexions suscite chaque mot de cette page, que de rapprochemens elle éveille, que d’enseignemens elle contient, au lendemain du jour où M. Thiers a pris place à l’Académie, à côté de M. Jules Simon, comme M. de Talleyrand avait pris place à côté de M. Thiers en 1835 ! Tels sont les rapprochemens que crée la logique secrète ou l’ironie des choses.

M. Doudan a beau faire et beau dire : ce prétendu paresseux est un des esprits les plus actifs de ce temps ; il ne nous persuade pas quand il nous avoue, au bas d’une lettre, « qu’il était né pour l’immobilité absolue, qu’il est comme une marmotte ; » il est vrai qu’il ajoute aussitôt a que cette marmotte est tracassée par deux petites ailes toujours en mouvement. » Ces deux ailes ne sont pas si petites qu’il le dit : elles le portent à tous les beaux spectacles de la nature, de l’art ou de l’histoire, d’un essor direct et soutenu, qui va toujours droit et qui s’élève souvent très haut. — Personne, que je sache, ne connaît et ne juge mieux la littérature et les mœurs littéraires de son temps. A propos de certains romans réalistes, qui semblent être la surcharge grossière d’une épreuve de Balzac : « Je