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par l’étude de l’antiquité grecque, créant de nouvelles figures de l’éternelle beauté, qui ne sont tout à fait ni l’antiquité grecque ni le pur esprit de la France du XVIIe siècle. Voilà à combien de sources diverses se renouvellent les littératures. « Tout, dans ce vaste monde qui nous environne, excite l’imagination, lui suggère l’idée du beau, et lui fournit de nouvelles couleurs pour essayer d’en donner quelque nouvelle image. La nature par son sourire éternel et changeant, les sciences dans ce progrès qui va vers l’inconnu et de l’inconnu à l’infini, l’âme de l’homme agitée sans cesse de nouveaux mouvemens par une force mystérieuse qui le pousse il ne sait où, ces arts qui par un trait, par un son font voir des mondes nouveaux, ces bruits inspirateurs qui sortent de la tombe des nations qui ne sont plus, et qui en disent plus que ces nations n’en ont dit dans toute la force de leur vie sur la terre, ces traditions mêlées de l’idéal, reproduisant sans épuisement des formes inattendues, tout cela apportant avec le cours des âges de nouvelles manières de voir, de sentir, de réaliser la beauté, où est l’esprit de l’homme capable de concevoir, d’éprouver à la fois, d’embrasser d’une seule vue toute cette richesse de sentimens et d’impressions ? On peut bien écrire une histoire des arts ou de la littérature, mais nul homme, nulle génération n’est assez forte, n’a pour ainsi dire une assez vaste sensibilité, une imagination assez compréhensive pour jouir en détail de cet immense spectacle. »

Là est l’explication de la difficulté qui embarrassait notre esprit et l’inquiétait comme par une sorte de contradiction ; c’est la solution du problème prise à la source la plus élevée. L’homme est mobile et fini, il est curieux et oublieux, son génie est exclusif, local, si je puis dire, et partiel ; de là son impuissance d’embrasser à la fois toutes les formes du beau ; il faut bien s’y résoudre, chaque génération ne voit qu’un côté du beau, il faut que ce vaste empire soit partagé dans le temps entre les diverses générations. On va nous montrer maintenant à quelles conditions et sous quelles réserves.

Les conditions de ce renouvellement perpétuel du sentiment du beau dans le monde et de la diversité du goût à travers les âges, sont les changemens multiples, les modifications intimes qui s’accomplissent dans l’histoire d’un peuple. Sous l’effort inévitable et continu du temps, quelquefois par des secousses soudaines, les coutumes, les mœurs, les préjugés, les croyances, changent ; les langues s’altèrent, les connaissances s’étendent ou s’effacent, et suivant ces vicissitudes, les hommes tournent leur intelligence et leur imagination vers un certain point de l’horizon intellectuel ; chaque génération reçoit ainsi des circonstances extérieures ou des conditions intimes de son histoire un tour d’imagination et d’esprit