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éveil sur les hommes et les choses, quelqu’un, en un mot, qui n’était facilement dupe ni des autres ni de lui-même. Malgré tout, parmi les amis survivans, il pouvait y avoir des appréhensions, non sur la sympathie publique, mais sur le degré de cette sympathie. Le jour où parut ce livre qui allait dire le dernier mot de cet esprit et déterminer son rang dans l’opinion, j’ai recueilli l’écho de plus d’une prévention défavorable, soit dans le public, qui n’aime pas que l’on se défie de lui, soit de la part de quelques juges non consultés et mal disposés pour une réputation qu’ils n’avaient pas faite. Cela me rappelait l’histoire de cet homme qui seul ne pleurait pas à un beau sermon, tandis que tous les assistans fondaient en larmes, et qui s’en excusait en disant froidement : « Que voulez-vous ? Je ne suis pas de la paroisse. » Il s’est produit ici quelque chose de semblable ; il y a eu l’opinion de ceux qui n’étaient pas de la paroisse et dont quelques-uns ont d’abord résisté au charme. On a bientôt vu que cette résistance n’était pas juste et ne prévaudrait pas contre le sentiment du grand public.

Ces deux volumes de lettres nous montrent, sous un aspect inattendu, toute une partie de l’histoire et de la société contemporaines. Ce n’est pas sans quelque surprise qu’on se voit invité à ce spectacle, et l’on serait tenté, au premier abord, de se reprocher le plaisir qu’on y trouve comme une sorte d’indiscrétion. C’est la première fois, à ma connaissance, que cette partie de la société française, la plus ombrageuse à l’égard de la publicité, le monde doctrinaire (puisqu’il accepte ce nom), vient s’exposer ainsi presque sans voile et en pleine lumière à la curiosité des indifférens et des adversaires. L’épreuve tournera à son avantage ; on sent dans ces lettres, écrites au jour le jour, la marque d’une vie intérieure élevée, le souci presque unique des choses de l’esprit, le désintéressement de tout ce qui est bas et commun, l’horreur du commérage et de la vulgarité, la passion exclusive des idées générales, la recherche ardente des formes les plus hautes de l’art et de la pensée, et par-dessus tout la liberté de l’opinion la plus complète. Mais enfin, c’est toute une révélation de ce monde très particulier et très réservé, je dirais même une révolution dans ses habitudes de discrétion. Qui eût dit au mois de juin 1844, quand M. Doudan racontait avec un si bel entrain les fêtes données à Gurcy, qui eût dit alors à M. Doudan que trente-deux ans après, jour pour jour, sa lettre paraîtrait, avec tant de jolis détails si intimes, tant de traits si expressifs et fins sur les rôles, les acteurs et les actrices, n’aurait trouvé assurément en lui qu’un incrédule. Alors tout cet aimable monde disait comme lui : « Nous espérons bien que les journaux voudront bien ne pas disserter sur ces amusemens de Gurcy ; » et c’est tout un événement qu’un feuilleton de la