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centrale, la Russie s’assurerait presque le monopole de ce trafic important, et en la continuant par la vallée de l’Irtych aussi loin que le permettrait le Fils du ciel, elle pourrait ressaisir le trafic continental avec la Chine, qui lui échappe. En Angleterre, on voit ces projets d’un mauvais œil. Et pourtant le chemin de fer Central-Asiatique, s’il pénétrait dans l’Inde, soit par les défilés de l’Hindou-Kouch, soit, comme le voudrait M. Stuart, par Kachgar et Yarkand, permettrait aux Anglais d’exporter en Russie une foule de leurs produits, et notamment le thé, dont la culture a si bien réussi dans le nord de l’Inde. Ils profiteraient également, dans ce cas, de l’embranchement qui se dirigerait vers la Chine ; mais il faudra peut-être encore attendre longtemps avant que le cabinet de Pékin consente à y prêter la main. La gazette chinoise qui paraît à Changhaï, le Hwei-pao, traite les chemins de fer d’œuvre du démon, — le démon, c’est le « barbare rouge » venu du côté du couchant. Toutefois n’est-ce pas beaucoup que la question des railways soit discutée par un journal chinois ?

En présence de ces difficultés, et en attendant que le temps soit venu de les résoudre, il peut suffire à la Russie d’assurer ses communications avec ses possessions asiatiques qui s’étendent chaque jour. Ne pouvant pas encore accrocher les fils de sa vaste toile d’araignée ni au Golfe-Persique, ni aux ports de la mer de Chine, elle se contentera d’en fortifier la trame en multipliant les voies ferrées qui lui permettront de porter, le cas échéant, ses troupes rapidement et sûrement sur tous les points de ses territoires où leur présence pourra devenir nécessaire. Ces considérations ont suggéré à M. de Hochstetter le projet d’un chemin de fer circulaire qui, contournant l’immense dépression aralo-caspienne, partirait d’Ekaterinbourg, passerait à Omsk, Semipalatïnsk, Sergiopol, Kopal, Vernoë, Tachkend, Samarcande, et rejoindrait un jour, à travers la Perse, la ligne du Caucase. Ce tracé est sans doute moins direct que celui qui d’Ekaterinbourg descend droit au sud jusqu’à Tachkend, mais il a l’avantage d’éviter les déserts et de desservir les provinces les plus riches et les-mieux peuplées de la Russie d’Asie, et ce résultat compenserait amplement l’augmentation de dépense qu’entraînerait ce détour[1].

Au reste, le gouvernement russe ne perd pas de vue un seul instant la tâche qu’il s’est donnée en Asie ; les expéditions scientifiques s’y succèdent, et nous avons vu qu’on travaille en silence à l’extension graduelle du réseau des chemins de fer. L’Angleterre voit avec terreur sa rivale s’approcher des frontières de son empire indien. Plusieurs fois déjà on a parlé d’aller à Kelat, d’occuper le

  1. D’Ekaterinbourg à Tachkend, il y a moins de 2,000 kilomètres en prenant par le plus court ; par Semipalatïnsk, la ligne aurait un développement de 2,800 kilomètres.