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qui était resté à Turin, il ne tardait pas à écrire : « Je n’ai pas renoncé à la politique. J’y renoncerais si l’Italie était libre, alors ma tâche serait accomplie ; mais tant que les Autrichiens sont de ce côté des Alpes, c’est un devoir pour moi de consacrer ce qui me reste de vie et de forces à réaliser les espérances que j’ai travaillé à faire concevoir à mes concitoyens. Je suis décidé à ne pas m’user inutilement en agitations vaines et stériles, mais je ne serai pas sourd à l’appel de mon pays… »

Évidemment Cavour avait cédé à l’impétuosité d’un mouvement soudain, il était allé un peu loin par l’éclat de ses protestations et de sa retraite. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il avait senti le premier ce que l’Italie entière ressentait presque instantanément ; il avait été comme l’écho de son pays. Dans toutes les parties de la péninsule en effet, excepté peut-être en Lombardie, où la passion satisfaite de la délivrance dominait tout, dans les autres parties l’impression avait été aussi vive que profonde. La déception était proportionnée aux espérances qu’on avait conçues, à la confiance qu’avait inspirée une guerre entreprise pour l’indépendance italienne jusqu’à l’Adriatique, commentée par la proclamation de Milan. On n’avait vu d’abord que l’abandon de Venise par un nouveau Campo-Formio, la menace de la restauration des anciens pouvoirs à Florence comme à Bologne. La paix de Villafranca faisait presque oublier aux Italiens, au moins momentanément, ce que la France venait de faire pour eux, et, même à Turin, on était loin de l’enthousiasme qui au 30 avril avait accueilli les soldats français. « Si on avait proposé il y a deux mois, écrivait le plus modéré des hommes, Massimo d’Azeglio, si on avait proposé le problème suivant : aller en Italie avec 200,000 hommes, dépenser un demi-milliard, gagner quatre batailles, restituer aux Italiens une de leurs plus belles provinces, et revenir maudit par eux, on aurait déclaré le problème insoluble. Eh bien ! il ne l’était pas, le fait l’a prouvé… Dans l’Italie centrale, les esprits enflammés par tant de prouesses, n’accepteront pas la paix de Villafranca. Ce sera, que sais-je ? l’inconnu ! .. Après cela, je m’abstiens de tout jugement sur la conduite de l’empereur. En fin de compte, il a été au feu pour nous contre l’Autriche, et pour ce qui est des admirables soldats de la France, j’embrasserais leurs genoux ; mais cela n’empêche pas que notre pauvre Italie ne soit dans une terrible situation. En vérité, je m’y perds… » C’est ce sentiment d’une situation terrible, douloureuse, d’une déception imprévue et amère, que Cavour avait résumé dans sa vivacité spontanée en lui donnant la sanction éclatante d’une démission qui faisait encore du ministre vaincu le représentant populaire d’une grande vicissitude nationale, l’ouvrier possible d’une fortune nouvelle. Il était resté d’accord avec