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de la nature les misères des affaires menées par les hommes,… puis les chaleurs passées je reviendrai dans mes terres… » Et il ajoutait avec une fine ironie, sans doute en répondant à des complimens un peu trop empressés sur sa retraite : « Ce que vous me dites du retour de mes anciens amis me console tout à fait. Je dois considérer ma chute comme un événement heureux, si elle me fait retrouver l’estime et la sympathie de ce cercle d’élite qui se meut autour de vous et dont ma politique incomprise m’avait en quelque sorte exclu. »

Lorsque Cavour écrivait ou parlait ainsi, il avait le langage d’un vaincu ; il se croyait un vaincu, et il ne l’était pas autant qu’il le croyait. Il gardait encore un peu de cette amertume qui un instant avait fait une explosion si terrible. Il avait besoin de s’éloigner, d’échapper à cette atmosphère enflammée où il vivait depuis six mois, d’aller chercher le repos qu’il était toujours sûr de trouver en Suisse, auprès de ses amis de La Rive. Un matin de la fin de juillet, il débarquait à la station d’Hermance sur le lac de Genève. N’ayant pas d’autre moyen pour arriver à Presinge, il prenait un chariot de ferme dont le propriétaire lui-même s’offrait à le conduire, et, chemin faisant, il causait avec l’honnête campagnard de l’état des récoltes, de la valeur des terrains, des diverses cultures du pays. Ne trouvant personne à Presinge, il se remettait en route à pied, l’habit sur le bras, par une rude chaleur, pour gagner une autre maison de la famille de La Rive, où il était accueilli en hôte aussi imprévu que bien venu. On n’aurait guère dit, à le voir arriver ainsi, l’homme qui venait de remuer l’Europe. Il passait là quelques jours, heureux de cette vie familière, causant en toute liberté avec ses amis, allant pêcher dans le lac, et, pour toute aventure, faisant la rencontre d’un grand soldat bernois à la longue moustache, qui lui demandait s’il était réellement Cavour, puis s’éloignait silencieux après lui avoir serré fortement la main. C’est ce qu’on pourrait appeler la convalescence de Cavour au lendemain de la fièvre. Il n’avait pas passé une semaine que déjà il n’était plus le même ; il avait retrouvé cette prodigieuse élasticité de nature qui le sauvait du danger des premiers mouvemens violens dont il ne pouvait toujours se défendre au feu de l’action. Il jugeait les événemens avec une complète liberté d’esprit, sans se perdre en récriminations et en regrets inutiles, cherchant à tout comprendre avec la flexibilité d’une raison supérieure. « Il ne faut pas regarder en arrière, disait-il, maintenant regardons en avant. Nous avons suivi une voie, elle est coupée : eh bien ! nous en suivrons une autre. Nous mettrons vingt ans à faire ce qui aurait pu être accompli en quelques mois. Qu’y pouvons-nous ? D’ailleurs l’Angleterre n’a encore rien fait pour l’Italie, aujourd’hui c’est à son tour ! » Et à son ami Castelli,