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douleur et d’agitation ; il roulait dans son esprit Joute sorte de projets. Quand il passa à Milan, un certain nombre de personnes, et notamment le gouverneur, M. Vigliani, l’attendaient à la gare, impatiens de le voir. Il avait succombé à la fatigue des émotions violentes, il dormait d’un sommeil profond, et on respecta son repos : on ne voulut pas le réveiller ; c’était la première heure de sommeil qu’il goûtait dans ce terrible voyage.

Cavour, pendant son séjour sur le Mincio, n’avait pas vu l’empereur, et l’empereur de son côté n’avait pas voulu avoir avec lui des explications dont il sentait le danger. Assurément l’entrevue de Valeggio aurait été un peu différente de l’entrevue de Plombières. Ce n’est que quelques jours après que Napoléon III passant par Turin, à son retour en France, lui faisait témoigner le désir de le voir, et l’entretien atténuait à demi la vivacité douloureuse des récentes blessures. Les deux interlocuteurs se quittaient du moins en hommes qui pouvaient se retrouver. Il était allé au palais le soir avec un ami qui l’avait accompagné par les rues les plus désertes, et chemin faisant il disait : « J’ai été invité au dîner de la cour, mais j’ai refusé ; je ne me sens pas dans un état d’esprit à accepter des invitations. Penser que j’avais tant fait pour unir les Italiens, et qu’aujourd’hui tout est peut-être compromis ! On me reprochera de n’avoir pas voulu signer la paix : cette paix, je ne pouvais pas absolument, je ne peux pas la signer ! .. » Pour lui, Cavour ne songeait qu’à s’effacer, laissant le pouvoir à un ministère formé avec le général La Marmora, Rattazzi, le général Dabormida, et chargé de suivre la politique de la situation nouvelle ; puis il se hâtait de partir pour la Suisse. Il laissait voir l’état de son âme dans une lettre qu’il écrivait dès le 22 juillet à Mme de Circourt : « Si Bougival, au lieu d’être à la porte de Paris, se trouvait dans quelque coin obscur de la France, disait-il, j’accepterais avec empressement l’hospitalité que vous m’offrez avec tant de cordialité. Vous m’aideriez, j’en suis certain, chère comtesse, à ne pas désespérer de l’avenir de mon pays, et je vous quitterais après quelque temps plus en état que je ne le suis maintenant de recommencer la lutte pour son indépendance et pour sa liberté ; mais que voulez-vous ? je ne pourrais aller à une porte de Paris sans y entrer ; cela aurait l’air de bouder, or il n’y a rien de ridicule au monde comme un ministre tombé qui boude, surtout s’il s’avise de bouder la ville la plus insouciante de l’infortune et la plus moqueuse du monde. Ma position m’impose le devoir de me tenir aussi tranquille que possible… Je m’étais acheminé vers la Suisse, cet hôpital des blessés politiques ; mais l’annonce du congrès de Zurich pouvant donner à mon innocent projet une couleur suspecte, je me rabattrai sur la Savoie et j’irai m’établir au pied du Mont-Blanc, pour y oublier au milieu des merveilles