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Peu auparavant il avait été appelé sur le Mincio par le roi précisément pour tranquilliser l’empereur sur ce qui se passait dans les légations : il croyait avoir réussi, et il avait quitté l’armée, emportant lui-même une vive et profonde émotion du spectacle du champ de bataille de Solferino, mais sans rien soupçonner. Le 6 juillet encore, il écrivait au ministre de Sardaigne à Saint-Pétersbourg, au marquis Sauli, qui lui parlait d’une médiation possible : « En ce moment, une médiation ne pourrait avoir que de fâcheux résultats. Il faut que l’influence autrichienne disparaisse complètement de l’Italie pour que la paix soit solide et durable. » Il admettait encore moins la possibilité d’une paix négociée directement ; il ne se doutait pas qu’au moment même où il parlait ainsi la pensée d’une négociation directe était déjà acceptée par l’empereur. C’est deux jours après en effet, le 8 juillet, qu’il recevait à Turin, par une dépêche du général de La Marmora, la nouvelle d’une suspension d’armes, et La Marmora avouait qu’on ne savait encore « ni comment ni par qui l’armistice avait été proposé. » Aussitôt il partait pour le camp, et à son arrivée au quartier-général du roi, à Pozzolengo, il démêlait toute la vérité ; il se trouvait en présence d’une paix qu’il ne pouvait plus empêcher, qui frustrait ses espérances et confondait sa politique. Il voyait la paix fatale, il n’en connaissait pas encore les conditions ; il ne les connut que le 11 juillet, dans une scène familière et dramatique qui se passait au moment où le roi revenait du camp impérial de Valeggio portant l’acte qu’il venait de signer avec cette formule ou cette restriction singulière : « pour ce qui me concerne. » Victor-Emmanuel, le visage soucieux, après avoir mis bas son uniforme et s’être assis dans une attitude un peu soldatesque, dit à une des quatre personnes présentes de lire tout haut ces préliminaires. À cette lecture, Cavour entrait dans une violente colère ; il était tellement exalté que le roi avait de la peine à le calmer et le confiait au général La Marmora. Cavour savait bien que le roi n’avait fait que ce qu’il devait. Placé dans l’alternative de poursuivre seul une guerre inégale qui pouvait tout perdre, ou de souscrire à une paix qui sauvait la Lombardie en laissant bien des questions ouvertes, Victor-Emmanuel n’avait point hésité, il ne pouvait hésiter, et même, sa résolution une fois prise, il avait su montrer de la finesse jusque dans la résignation ; il avait laissé Voir du chagrin, non du ressentiment. Cavour lui-même, dans son amertume, n’aurait pas conseillé au roi une autre conduite. Quant à lui, il se sentait plus libre, il ne voulait ni accepter la responsabilité de la paix, ni garder le pouvoir sous le poids d’une déception si cruelle. Dès que tout était fini, il croyait se devoir à lui-même, devoir à son honneur, à sa politique, d’abdiquer le ministère, et, après avoir remis sa démission au roi, il repartait pour Turin l’âme remplie de