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situation commençait réellement à devenir critique. Il y avait à Paris, entre le ministre des affaires étrangères de France et le représentant sarde, M. de Villamarina, une scène des plus vives. Le comte Walewski, dans un moment de mauvaise humeur, peut-être calculé pour intimider le cabinet de Turin, se laissait emporter jusqu’à dire que « l’empereur ne ferait pas la guerre pour favoriser les ambitions de la Sardaigne, que tout devait être réglé pacifiquement dans un congrès auquel le Piémont n’avait aucun droit de participer. » Le comte Walewski faisait en même temps tenir à Turin, par le prince de la Tour d’Auvergne, un langage qui, sans être aussi acerbe, ne laissait pas d’être inquiétant. Cavour se hâtait de faire face à l’orage ; il écrivait au prince Napoléon et il expédiait une lettre du roi que M. Nigra devait remettre lui-même à l’empereur. « Que M. Nigra, poursuivait-il, parle avec énergie à sa majesté, qu’il lui dise que le comte Walewski écrit ici au ministre de France de manière à nous décourager ou à nous pousser à un acte désespéré ! » L’empereur répondait : « Que le comte de Cavour vienne à Paris sans plus de retard ! » Et aussitôt en effet il se rendait à cet appel ; il était à Paris le 25 mars.

Dès son arrivée, il ne tardait pas à s’apercevoir qu’il était en présence de tout un travail qui n’avait pas seulement pour objet le maintien de la paix, fût-ce par le sacrifice du Piémont, qui tendait peut-être aussi à l’écarter lui-même comme le principal obstacle à la paix : il était plus que jamais le grand suspect ! L’attitude du comte Walewski vis-à-vis de lui était courtoise et froide ; lord Cowley se montrait également à son égard assez grave : aux Tuileries, il retrouvait un accueil cordial et confiant comme à Plombières. Il avait des entrevues successives avec l’empereur, et ces quelques jours qu’il passait à Paris n’étaient pas du temps perdu pour lui : il les employait à reconnaître la situation, étudiant le jeu de la politique parisienne, gardant sa liberté d’esprit et sa gaîté : « J’irais bien vous voir, écrivait-il à Mme de Circourt, mais je crains de trouver dans votre salon des partisans frénétiques de la paix auxquels ma présence déplairait souverainement. Or comme, malgré mon humeur belliqueuse, je ne me soucie nullement de faire la guerre à vos amis, je ne me présenterai chez vous qu’autant que vous me promettrez de me recevoir seul ou en présence de personnes qui ne m’arracheront pas les yeux par amour de la paix… » Un matin de cette fin de mars, un roi de la finance, le baron James de Rothschild, était allé voir Cavour, qu’il connaissait depuis longtemps, et entre les deux interlocuteurs s’engageait un piquant dialogue. Le tout-puissant banquier, fort opposé à la guerre, intéressé à savoir où en étaient les choses, se montrait pressant. « Eh ! eh ! répliquait