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sacrée que celle des Irlandais, que celle des noirs ? Elle aussi, elle triomphera devant l’opinion anglaise. Je ne peux croire que l’éminent homme d’état, — lord Derby, — qui préside aux conseils de l’Angleterre, après avoir attaché à l’émancipation des nègres le nom que l’histoire lui a transmis, veuille terminer sa brillante carrière par une complicité avec ceux qui voudraient condamner les Italiens à une servitude éternelle… » Au même instant, l’habile ministre recevait à Turin avec les plus gracieuses attentions d’éminens Anglais, un membre du parti whig, le général Fox, M. Gladstone, qui, en quittant récemment les îles ioniennes, où il avait rempli une mission officielle, venait de traverser la Vénétie, la Lombardie, qu’il avait trouvées en pleine occupation militaire. Cavour ne négligeait rien pour montrer à ses hôtes que l’Angleterre se trompait en identifiant la paix avec la domination autrichienne. « Vous avez pu le voir, disait-il à M. Gladstone, l’Autriche nous menace ; ici nous sommes tranquilles, le pays est calme ; nous ferons notre devoir. » Il savait ce qu’il faisait ; s’il n’avait pas l’Angleterre pour amie, il ne voulait pas l’avoir pour ennemie, et il lui envoyait comme ambassadeur extraordinaire l’homme le mieux fait pour réveiller ses sympathies, ses instincts libéraux, Massimo d’Azeglio. « Celui-là, disait-il gaîment, est le père de la question italienne, c’est un modéré, on ne se défiera pas de lui. Sa présence à Londres pourra être très utile auprès de tous ceux qui ne sont pas du pur sang autrichien… » Et d’Azeglio allait à Londres, comme il venait d’aller à Rome porter le collier de l’Annonciade au prince de Galles qui visitait la ville éternelle !

Avec la France, les rapports de Cavour étaient d’une autre nature sans être moins compliqués et moins laborieux. Le hardi Piémontais avait, il est vrai, en Napoléon III un ami de la cause italienne, un allié plus qu’à demi engagé, et dès le mois de janvier le mariage du prince Napoléon lui assurait un auxiliaire de plus, un complice de famille. Il ne cessait point d’ailleurs d’avoir avec les Tuileries des relations directes et secrètes par M. de Villamarina, surtout par M. Nigra, son jeune et fidèle confident, dont la mission tout intime grandissait avec les circonstances. L’influence de Turin sur Paris était aussi réelle, aussi active que l’influence de Paris sur Turin. L’alliance nouée et resserrée depuis six mois restait entière ; mais Cavour n’ignorait ni ce qu’il y avait d’incertain et de fuyant dans le caractère de Napoléon III, ni les difficultés que le chef de la France rencontrait autour de lui. Par le fait, la politique qui s’était déclarée depuis le 1er janvier soulevait dans une partie de la société française, dans le monde religieux, dans l’ancien monde parlementaire et même dans une certaine classe des amis de