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« Ce n’est plus le moment de discuter ta politique, il n’y a qu’à la faire réussir ; fais de moi ce que tu voudras… » Ce que disait d’Azeglio traduisait un sentiment universel : de toutes les parties de l’Italie, la confiance refluait en quelque sorte vers Cavour. Ceux qui songeaient avant tout à l’indépendance se tournaient vers Turin, et de la Lombardie comme de la Toscane, comme de la Romagne ou de Modène, accourait toute une jeunesse impatiente de s’enrôler sous le drapeau de Victor-Emmanuel. Ces manifestations n’avaient rien de désordonné comme en 1848 ; elles avaient au contraire je ne sais quoi de régulier et de discipliné jusque dans les frémissemens de l’émotion nationale. Il y avait comme une conspiration d’un nouveau genre dont le mot d’ordre était de ne pas recommencer les fautes du passé, de se rallier sans marchander à une direction qui avait ramené l’Italie de si loin.

Cavour jouissait de ce mouvement, qui était son œuvre et sa force, dont il prétendait bien se servir en l’organisant et qui répondait à une de ses plus vives préoccupations. Si le patriote habile et prévoyant avait tout fait pour conquérir une grande alliance sans laquelle rien de sérieux n’était possible, il ne voulait pas d’un autre côté devoir tout à cette alliance. Il écrivait à La Marmora : « Pour que la guerre ait des résultats heureux, il faut nous préparer à faire les plus grands efforts… Malheur à nous si nous triomphons uniquement par l’aide des Français !… » Il tenait, pour la dignité nationale comme pour la liberté de sa politique, à ne pas recevoir l’indépendance comme un don gratuit. Aussi mettait-il tous ses soins à la préparation morale et matérielle du pays, en s’efforçant d’associer autant que possible l’Italie au Piémont. A côté de l’armée piémontaise, au risque de se brouiller avec la diplomatie, il s’occupait de créer sous le nom de « chasseurs des Alpes » des bataillons destinés à servir décadrés à toute cette jeunesse lombarde, toscane, qui affluait à Turin, et en homme hardi il n’avait pas même reculé devant la pensée de confier ces bataillons à Garibaldi. Un matin de cet hiver de 1858-1859, avant le jour, un visiteur inconnu s’était présenté chez le président du conseil, qui avait été aussitôt prévenu par un valet de chambre un peu effaré. « Quel est cet homme ? disait le chef du cabinet piémontais. — Il a un large chapeau, un gros bâton à la main, et il ne veut pas dire son nom, il prétend que M. le comte l’attend. » C’était Garibaldi, qui était venu s’entendre avec Cavour en se rangeant sous les ordres de Victor-Emmanuel. Seulement, comme ce nom pouvait être encore un épouvantail, Garibaldi était reparti pour Caprera, laissant à Turin, pour l’organisation des « chasseurs des Alpes, » le colonel Medici, en qui Cavour trouvait bien vite un auxiliaire fasciné et dévoué. C’était assez risqué sans doute, et il n’était