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donc à cet inévitable premier acte qui n’a pas plus son origine dans la réflexion que dans l’expérience. Condillac s’en est aperçu même dans ce Traité des animaux dont nous parlons. De là des affirmations que M. A. Lemoine a signalées, mais dont il n’a pas cité la plus expresse ; elle est importante, et la voici : « chaque besoin est un centre d’où le mouvement se communique jusqu’à la circonférence. » Ces mots ne sont pas une métaphore ; ils traduisent le fond même et l’esprit de la doctrine, comme le prouve cette conclusion de l’auteur : « Tel est en général le système des connaissances des animaux. Tout y dépend d’un même principe, le besoin. » Des passages de la Logique reproduits tant par M. A. Lemoine que par M. Léon Dumont, éclaircissent cette théorie sans y rien ajouter d’essentiel. Ainsi d’après Condillac lui-même, qui a ici le mérite de se corriger en se contredisant, le premier ressort de la vie psychologique chez l’animal, ce n’est pas l’expérience, ni l’habitude, ni la réflexion, c’est le besoin. Restera à voir, et nous le chercherons plus loin, si l’instinct et le besoin sont même chose.

Ce qui dès à présent nous incline à présumer que le besoin pourrait bien être sinon l’instinct tout entier, du moins une partie considérable de l’instinct, c’est qu’il est au plus haut degré un principe déterminant. Or tel est le caractère que chacun attribue à l’instinct. Aussi Condillac, en prenant le besoin comme principe général de mouvement, a-t-il fourni une explication très juste de plusieurs phénomènes de la vie animale et particulièrement de l’imitation. Lorsqu’il dit : « Tous les individus d’une même espèce étant donc mus par le même principe, agissant pour les mêmes fins, et employant des moyens semblables, — lisez : des organes semblables, — il faut qu’ils contractent les mêmes habitudes, qu’ils fassent les mêmes choses, et qu’ils les fassent de la même manière ; » j’entends cela tout de suite et je sens que là est la vérité. Maintenant que Buffon, traitant le même point, m’affirme que l’imitation n’est qu’un effet mécanique, un résultat machinal et que les animaux, en conséquence, doivent se copier tous, parce que leurs organes sont semblables et par cela seul qu’ils le sont, je ne comprends pas. Que deux horloges dans lesquelles les rouages et les formes sont mathématiquement pareils accomplissent les mêmes mouvemens, rien de plus simple ; mais ces deux machines ont un moteur, tandis que les animaux de Buffon n’en ont pas, puisqu’il leur a ôté l’âme et les a réduits au pur mécanisme. La clarté de la psychologie de Condillac vient de ce que, pour lui, les bêtes de même espèce sont, non pas des mécanismes, mais des organismes semblables, dirigés par des principes ou âmes semblables, lesquels ont reçu la même impulsion d’un même besoin. Aussi a-t-il le droit d’aller