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de Palmerston rien de plus intéressant qu’une lettre qu’il écrivit à lord John Russell presque aussitôt l’avènement du ministère whig. L’Europe est tranquille : rien ne remue ; l’œil de lynx de Palmerston fouille l’avenir. Où voit-il un danger ? A Rome. Et qui veut-il intéresser au sort du souverain pontife ? Lord John Russell, le whig des whigs. Il lui envoie le 30 juillet 1846 une copie du mémorandum adressé par les puissances au pape en 1831. « La matière, dit-il, est de grande et sérieuse importance, elle a une portée qui n’apparaît pas à première vue. L’Italie est le point faible de l’Europe, et la première guerre qui éclatera en Europe sortira sans doute des affaires italiennes… Laissez les choses comme elles sont, et vous donnez à la France le droit de troubler l’Europe quand elle le voudra… Les libéraux français savent que, s’ils tentaient de marcher sur le Rhin, ils auraient contre eux l’Allemagne unie, la Russie et plus ou moins l’Angleterre ; mais, en soulevant une insurrection en Italie contre le mauvais gouvernement papal, leur position serait différente. L’Angleterre ne prendrait probablement pas partie contre eux ; la Prusse ne remuerait pas le pied ; la Russie ne serait pas bien active et peut-être ne serait pas fâchée dans son cœur de ce qui pourrait humilier et affaiblir l’Autriche. Mais l’Autriche interviendrait et ne pourrait guère faire autrement ; la France et l’Autriche se battraient en Italie, et la France aurait tous les Italiens de son côté. La guerre, commencée en Italie, s’étendrait peut-être à l’Allemagne ; en tout. cas, nous n’avons aucun désir de voir l’Autriche abattue, la France agrandie, la vanité militaire et l’amour des conquêtes des Français réveillés et excités par le succès. » Il conclut en invitant lord Russell à fortifier le pape en lui demandant des réformes intérieures : la mission donnée à lord Minto eut pour principal objet de provoquer des réformes en Italie afin d’empêcher une intervention française dans la péninsule.

Palmerston, on le voit, n’était pas l’ennemi du pape, il n’était l’ennemi d’aucun gouvernement faible, il ne détestait que ce qu’il craignait : la monarchie constitutionnelle de juillet avait, à force de patience et de courage, surmonté les plus grandes difficultés, elle avait usé la mauvaise humeur des cours, elle rayonnait sur toute l’Europe par le génie de ses écrivains, par l’éloquence de ses hommes d’état, par ses idées sagement libérales, par le prestige attaché à un roi honnête homme, entouré d’une nombreuse et brillante famille. Cette prospérité, que rien ne semblait plus menacer, aveuglait, épouvantait Palmerston ; son esprit inquiet cherchait constamment le défaut de la cuirasse française, ses pressentimens étaient guidés par un profond instinct : si la révolution de 1848 n’eût pas eu lieu, la guerre eût vraisemblablement éclaté tôt ou tard en Italie entre la France et l’Autriche. Ce n’est pas seulement