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et détestable esprit d’agression qui renaît. Ce que veut la France est juste ou injuste, bon ou mauvais. Si l’un, cela doit être fait ; si l’autre, cela ne doit pas l’être. »

On le voit, ce n’est pas Palmerston qui eût inventé l’entente cordiale, et après tout la rudesse de son langage n’a rien qui doive choquer ceux qui ont vu comment se font et se défont les alliances ; pas plus que les hommes, les gouvernemens n’ont de droits à la sympathie, ils n’ont droit qu’à l’équité. Une grande nation ne doit compter que sur elle-même. On chatouillait trop l’orgueil de Palmerston, on appelait presque son mépris, quand on se lamentait contre son manque de sympathie. Ce qui était insupportable, ce n’était pas son indifférence, ce n’était pas même sa haine, il y a des haines savoureuses et fortifiantes, c’était la prétention qu’il semblait s’attribuer au monopole du désintéressement et de l’honnêteté politique. A lire ses dépêches, il semble que du côté de la France il n’y a que noirceur, duplicité, mauvais desseins ; du côté de l’Angleterre, tout est noblesse, oubli de soi, candeur, simplicité, grandeur d’âme.

Si les Anglais lisaient dans quelque livre français ces lignes : « Lord Grey est honnête, mais il n’est pas conforme à la nature humaine qu’il ne soit pas entraîné de temps en temps par la déshonnêteté de Palmerston et, j’ai pour de l’ajouter, par le manque de principes de la reine. » Que penseraient-ils d’un ministre des affaires étrangères français qui les eût écrites ? Remplacez pourtant lord Grey par Perier, Palmerston par Sébastiani, la reine par le roi, et vous aurez un passage d’une lettre écrite le 22 avril par Palmerston à lord Granville.


III

La question d’Orient est celle qui a peut-être le plus occupé Palmerston ; nous allons y suivre, depuis le début, le développement de sa politique et en analyser les ressorts. L’empire ottoman n’eut d’abord aucune part dans sa tendresse, et, pendant quelque temps, il succomba à la passion philhellène. En 1827 il propose au duc de Wellington d’occuper la Grèce et de balayer les Turcs hors du petit royaume que la diplomatie avait accordé à l’insurrection, avant que l’expédition française en Morée eût été résolue. Il ne redoute pas encore la Russie ; il écrit en 1828 dans son journal, pendant la guerre entre la Russie et la Turquie : « Les Russes commencent à découvrir qu’ils ont assez de territoire, que la prise de Constantinople, si l’Europe la permettait, créerait bien un nouvel empire, mais ne fortifierait pas la Russie actuelle. Ce qui leur est