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la mort de lord Liverpool fit passer le pouvoir aux mains de Canning, ce dernier, abandonné par les tories de la vieille roche, par ce qu’on appelait le parti « protestant, » eut quelque peine à composer son ministère. L’amour-propre de Palmerston fut flatté d’abord par l’offre de la chancellerie de l’Échiquier, mais Canning dut bientôt retirer son offre, et Palmerston resta simple ministre de la guerre, sans voix dans le cabinet. Canning lui offrit de la part du roi le gouvernement de la Jamaïque. « Je ris de si bon cœur, écrit-il dans ses notes, que Canning en fut tout troublé et je fus obligé de redevenir sérieux. » Il n’en voulut pas à Canning et s’attacha décidément à sa politique ; il devint un canningite, ni tory, ni whig.

Ce parti nouveau servait pour ainsi dire de planche aux libéraux, depuis longtemps exclus du pouvoir. « Le parti de M. Canning, écrit Bulwer, vivra dans notre histoire et dans l’histoire du monde, comme le parti des Anglais généreux, courageux et intelligens de la première moitié de ce siècle. Il n’était pas en faveur d’une extension du suffrage électoral. Il était partisan d’une aristocratie puissante et riche ; il n’était pas opposé au système des bourgs pourris. Qu’est-ce donc qui le distinguait ? C’était le patronage des opinions constitutionnelles hors de l’Angleterre, l’adoption avec certaines réserves des doctrines du libre échange, et la suppression des qualifications religieuses pour les fonctions politiques. » Palmerston, qui cherchait sa voie, fut toujours un économiste assez tiède ; le patronage des opinions constitutionnelles au dehors devait devenir son occupation favorite.

Le passage de Canning aux affaires fut court. Le duc de Wellington, qui le remplaça, conserva quelque temps des canningites dans son ministère ; mais bientôt Palmerston, Huskisson et deux autres ministres se séparèrent de lui. Palmerston, entré dans l’opposition, n’avait encore qu’une petite place dans la chambre des communes. On en jugera par cet extrait du journal de Greville : « L’événement de la semaine dernière a été le discours de Palmerston sur la question portugaise (insurrection contre dom Miguel en faveur de dona Maria de Gloria), prononcé tard et devant une chambre vide, mais, dit-on, très habile et éloquent. Il a été très violent contre le gouvernement. Il a été vingt ans en place et ne s’est jamais distingué jusqu’ici, ce qui prouve combien les circonstances. accidentelles sont nécessaires pour faire saillir les talens d’un homme. Le poste qu’il a rempli le vouait à des détails secs et ennuyeux, et il n’en est jamais sorti. Il était sans doute fasciné par Canning et les autres, et ne fut jamais du cabinet ; mais ayant récemment acquis plus de confiance en lui-même, et la mort ou la pairie ayant fait le vide dans la chambre des communes, il s’est lancé, et avec un succès étonnant. Lord Granville m’a dit qu’il avait toujours jugé Palmerston