Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En présentant en 1810 le budget de la guerre, il exposait en ces termes l’état militaire de l’Angleterre : « Nous avons en ce moment 600,000 hommes sous les armes (armée, milice, volontaires), sans compter 200,000 marins. L’énergie virile de la nation n’a jamais été plus éclatante, et le pays n’a jamais eu une attitude plus fière et plus glorieuse. Après une lutte de quinze ans contre un ennemi dont le pouvoir a toujours été en augmentant, nous pouvons continuer la guerre avec des forces plus nombreuses et avec une population que la pression des circonstances a consolidée en une masse militaire impénétrable, et si nous ne présentons pas à une invasion l’obstacle de ces nombreuses forteresses qu’on trouve sur le continent, nous lui offrons la barrière plus insurmontable d’un peuple brave, patriotique et enthousiaste. » Cette vibration d’un patriotisme hautain traverse toute la vie de lord Palmerston : de nature pugnace, si je puis emprunter ce mot à mes voisins, il a toujours trouvé plaisir à défier ses ennemis.

Ceux qui se souviennent encore de Jord Palmerston à cette époque, le peignent comme un homme à la mode, fier, gai, moqueur, hardi chasseur, cachant son ambition sous la frivolité la plus aimable, sachant, on vient de le voir, régler cette ambition, pour la mener plus sûrement et plus loin.

L’homme du monde dominait-il encore l’homme d’état, ou l’homme d’état était-il mal jugé ? Quoi qu’il en soit, il resta pendant quinze ans de suite dans le poste que Perceval lui avait confié, et que lord Liverpool lui conserva. Ses amis personnels n’étaient pas ses amis politiques. Il vivait dans la société des whigs, qui, depuis Fox, était la société à la mode, celle qui donnait le ton et qui tenait le sceptre. La discipline de parti l’attachait seule aux tories, encore s’était-il de bonne heure montré assez indépendant. Il n’avait subi aucun patronage trop pesant ; il n’était ni à Canning, ni à lord Eldon, ni même à lord Liverpool, ayant exigé de ce dernier qu’on le laissât libre dans la question catholique. Palmerston avait des terres en Irlande, il fut toujours ému (autant qu’il pouvait l’être) des maux de ce pays ; sa foi protestante n’ayant rien de farouche, il embrassa de fort bonne heure la cause de l’émancipation catholique. Il fut nommé député de l’université de Cambridge en 1812, comme ami des catholiques ; en 1813, il les défendit au parlement. « Est-il sage de dire à des hommes qui ont un rang et de la fortune, qui, à cause de leur vieille lignée ou de leurs biens présens, ont un intérêt profond à souhaiter le bien public, qu’ils vivent dans un pays où une constitution bienfaisante permet à tous, sauf à eux, en exerçant honnêtement leurs talens dans la vie politique, d’obtenir le respect de leurs contemporains et de rendre