Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce gentilhomme sans morgue et de belle humeur, qui avait fait deux parts dans l’humanité, l’Angleterre et ce qui n’était pas l’Angleterre, plein d’un sincère mépris pour tout ce qui sortait de l’horizon de Pall-Mall et de Westminster, aimant mieux les vices de ses compatriotes que les vertus de l’étranger, ce Pam, comme le peuple aimait à l’appeler, est assurément une figure originale et digne d’une étude attentive. On peut l’étudier sans amour ni colère, comme un naturaliste étudie une espèce, car il avait pris au rebours le vers fameux de Térence : nihil humani a me alienum puto. Il ne concevait rien de bon qui ne fût utile à son pays : son esprit était essentiellement insulaire ; les événemens des deux mondes ne l’intéressaient que par leurs rapports directs ou détournés avec les intérêts anglais ; mais il n’avait pas, sur la mesure de ces intérêts, les idées basses d’un marchand ou d’un économiste, il ne séparait pas la grandeur matérielle des grandeurs d’imagination. Il voulait l’Angleterre riche, puissante, et la richesse n’était à ses yeux qu’un élément de puissance ; il l’aimait cependant pour elle-même et ne comprenait guère une aristocratie besoigneuse. Il sut à merveille flatter toutes les passions de la noblesse britannique ; il se donna tous les goûts des tories et se débarrassa de leurs préjugés et de leur entêtement. Les vieux conservateurs ne purent jamais détester un adversaire qui avait les traditions d’un gentilhomme ; les libéraux, contens d’être servis par lui, s’habituèrent à son dédain peu déguisé pour leurs chimères et leurs idoles. Sous une certaine rudesse plébéienne qui plaisait à la nation, Palmerston était aristocrate autant que n’importe quel représentant des a grandes familles gouvernantes. » Il était né Temple (le 20 octobre 1784) et ne l’oubliait pas ; les Temple étaient venus en Angleterre avec Guillaume le Conquérant et avaient une généalogie bien suivie depuis Jean sans Terre. Ils avaient eu de grands biens, mais, ayant suivi le parti vaincu sous le règne de Richard III, ils ne gardèrent que Temple Hall, qui dut bientôt être vendu. Cette famille ne devint pourtant illustre qu’avec sir William Temple, qui fut longtemps employé dans les ambassades en Hollande, et laissa des mémoires qui sont encore lus avec fruit par les historiens.

Lord Palmerston descendait directement d’un frère cadet de ce grand diplomate : il avait le même sang dans les veines, et l’on peut observer sur ces deux personnages un vrai phénomène d’atavisme politique. La vie publique de sir William Temple fut, on peut le dire, une longue lutte contre la France ; il osa engager cette lutte au moment où la cour anglaise était asservie à Louis XIV et quand la Hollande et l’Angleterre étaient brouillées. Le premier il montra au grand pensionnaire de Witt le péril qui menaçait les Pays-