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étant entre des mains amies, les grades libres seraient un motif de préférence et de choix ; mais on peut aussi faire l’hypothèse inverse. L’état, dans ce temps-ci, peut très bien passer entre les mains d’un parti contraire pour qui l’origine des grades serait précisément un motif d’exclusion. Aujourd’hui, par exemple, les grades étant uniformes, nul ne sait l’origine des candidats aux fonctions ; qu’ils viennent des jésuites ou de l’université, cela n’est pas marqué dans le diplôme. Avec la nouvelle institution au contraire, il y aura deux sortes de grades qui chacune portera son origine. Ainsi, suivant les changemens de ministère, tel diplôme sera bon ou mauvais, et il faut être bien sûr d’être toujours les plus forts pour croire à l’utilité d’une telle institution. Sans doute pour les carrières privées, le barreau et la médecine, de telles conséquences ne sont pas à craindre ; mais elles peuvent se présenter pour les carrières publiques et se présenteraient vraisemblablement.

Nous avons établi que les garanties exigées par l’état sont nulles, si elles n’ont pas elles-mêmes aux yeux de l’état leur garantie, ce qui ne peut être que si elles sont instituées par lui-même. Il ne peut pas répondre de l’aptitude aux carrières, s’il ne répond pas des diplômes eux-mêmes. Supposons, par exemple, une interpellation parlementaire où l’on citerait de nombreux exemples d’accidens causés par des médecins qui ignoreraient l’emploi du chloroforme. Dans l’état actuel des choses, le ministre s’enquerrait de la situation de l’enseignement et verrait s’il y a là quelques lacunes à combler, quelque faiblesse à corriger ; mais pour ce qui regarde les facultés libres, il n’aurait qu’à dire une chose : Cela ne me regarde pas. Dès lors pourquoi garantirait-il une capacité qu’il ne peut contrôler, et dont les défaillances sont en dehors de son action ? Des grades libres sont semblables à des actes légaux qui ne seraient point légalisés. J’exige que vous me présentiez votre acte de naissance ; si cet acte est rédigé par n’importe qui, ce n’est plus un acte : c’est un papier. De même, j’exige que vous me présentiez le diplôme de licencié ; si ce diplôme est décerné par n’importe qui, ce n’est plus un diplôme : ce n’est qu’une lettre de recommandation.

On a si bien compris tous les inconvéniens précédens que l’on a essayé d’un compromis par lequel les droits de l’état seraient, disait-on, sauvegardés et conciliés avec les droits des facultés libres. Ce compromis, qui est précisément en cause, et qu’il s’agit d’abroger, est l’institution des jurys mixtes. C’est là, dit-on, une transaction sage entre les deux principes, puisque d’une part l’état est représenté par deux professeurs et que les facultés le sont également : l’état même aurait, dit-on, la prépondérance. Cette prétendue transaction nous paraît au contraire une concession beaucoup